Julien Briere "comment les marseillais auraient-ils pu chanter la marseillaise en 1792 , pour la plupart ils ne connaissaient que leur langue , l'occitan" Apparemment ils ont compris aussi un peu de français. Le chant qui allait devenir La Marseillaise leur fut entonné le 22 juin 1792 par un jeune médecin, également capitaine de la garde nationale de Montpellier, Lemilieu marseillais désigne le crime organisé en provenance ou opérant dans la ville française de Marseille et sa région proche. Entré dans l'imaginaire collectif national dès l'entre-deux-guerres et depuis lors associé à l'image de la ville, il fait l'objet d'une littérature abondante et inspire de nombreuses fictions. Les prémices de l'émergence d'un tel milieu remontent à la Lespremières notes de la Marseillaise qui retentissent à 11h15 ce samedi 19 mars sur la place du Monument aux Morts ont une sonorité particulière. Ces quelques notes de l’hymne national marquent le 60eme anniversaire de la commémoration du cessez-le-feu de la guerre d’Algérie, officiellement proclamé le 19 mars 1962. Comme chaque année, ce Cest en 1880 que le gouvernement de la III e République, proclamée le 4 septembre 1870, décida que le 14-Juillet serait, chaque année, jour de Fête nationale. Mais pourquoi le choix de ce Enface, dans le camp de la France combattante, la renaissance française ne peut être que le prolongement du combat pour la libération nationale. En réservant une large place au genre, les deux discours en firent un élément structurant de la nation. Du côté de Vichy, comme de la Résistance, les discours reproduisent l’imaginaire Nouséviterons ainsi d'être pris au dépourvu au moment où nous serons appelés à moderniser les installations nucléaires existantes.: Eviteremo così di essere presi alla sprovvista quando saremo chiamati a rinnovare le installazioni nucleari esistenti.: Nous avançons tous rapidement vers le moment où nous serons appelés à quitter cette vie. LaMarseillaise, qui était à l'origine un chant de guerre révolutionnaire et un hymne à la liberté, est devenue l'hymne national de la République française en 1795. Cet hymne, dont les couplets ont été plusieurs fois modifiés au cours de son histoire, accompagne aujourd'hui la plupart des manifestations officielles et des événements sportifs., par Audrey Dansles réunions populaires les paysans et les ouvriers () aiment bien quand on leur a parlé en français, qu’on s’adresse aussi à eux dans notre langue du EnFrance, des appels pressent au rapatriement des enfants de partisans français de Daesh. « La situation périlleuse dans laquelle se trouvent (les) enfants (des combattants issus des rangs de L histoire militaire de la France couvre deux millénaires d' histoire à travers la France, l' Europe et les anciennes colonies françaises . Il y a eu 53 conflits majeurs en Europe. La France aura été un belligérant dans 49 d'entre eux, et le Royaume-Uni dans 43. Parmi les 185 batailles que la France a livré au cours des 800 dernières h92s215. Texte intégral 1Si beaucoup d’intellectuels, d’écrivains et d’artistes français purent émigrer temporairement, contrairement à leurs confrères allemands en Amérique du Nord, essentiellement aux États-Unis, il y en eut peu en Amérique latine. Mais ils s’engagèrent souvent activement aux côtés de la Résistance extérieure et eurent une action notable qui ne fut pas sans retentissement sur certains transferts importants, notamment culturels, d’après-guerre. 1 Lévi-Strauss C., Tristes Tropiques, Paris, Plon, 1955 rééd. 1984, p. 22. 2Ils furent en effet quelques poignées, face aux centaines d’écrivains et artistes exilés en Amérique du Nord, qui choisirent l’Amérique latine pendant la Seconde Guerre mondiale comme lieu d’exil ou de refuge. Aucune grande association de secours comme l’ERC, Emergency Rescue Committee, aux États-Unis ne favorisa leur migration. Leur exil, au regard de celui de leurs confrères aux États-Unis, paraît bien singulier, unique, à chaque fois. Aucun bateau, comme celui que décrivit Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques, ne transporta en un insolite et cruel voyage scientifiques de haut vol et poètes illustres transformés parfois en pathétique ours bleu, tel André Breton1. Non, l’exil latino-américain des créateurs français fut individuel, étrange alchimie du choix et du destin. Pourtant, il fut précieux pour la Résistance extérieure. Car la France Libre manqua à ses débuts de l’appui de personnalités d’importance et celles qui s’engagèrent pour elle en Amérique latine, parfois célèbres, menèrent une action non négligeable. Ce fut le cas de Georges Bernanos, de Roger Caillois et, à sa façon, de Jules Supervielle. Jules Romains, Paul Rivet, Jacques Soustelle, Benjamin Péret, Paul Bénichou choisirent aussi l’Amérique latine et se placèrent dans le camp de la Résistance extérieure. 3Exilés ou réfugiés ? Sauf dans le cas de Paul Bénichou, que les lois antisémites contraignirent à quitter la France en 1942 pour se réfugier en Argentine, tout commença pour les autres intellectuels comme un exil. À partir du moment où ils se prononcèrent contre l’hitlérisme, ils furent aussi, en quelque sorte, des réfugiés. D’autres positions que l’engagement aux côtés du général de Gaulle étaient possibles Saint-John Perse, le » poète d’élection de Roger Caillois était antigaulliste, proche de Roosevelt, Saint-Exupéry était antigaulliste, André Breton resta trotskyste, ni pro ni antigaulliste. 4Dans nombre de pays d’Amérique latine, il existait en effet, surtout en Argentine, des communautés françaises qui n’étaient pas insignifiantes. Quantité de ces immigrés venaient du sud de la France. Au Mexique, en Amérique centrale, on parlait des Barcelonnettes, qui étaient issus de Provence. Beaucoup, au Mexique et en Argentine, notamment, s’intégrèrent à leur pays d’accueil. C’était le constat que faisait Georges Denicker, consul de France à Rosario, dans une note à l’amiral de La Flotte, ministre des Affaires étrangères à Vichy, le 1er mars 1941 2 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy, Amérique, Argentine, dossier 144/1. L’Argentine est un pays accueillant où le fils de Français naît argentin, oublie la langue de son père, néglige presque toujours de se faire immatriculer et bien souvent de répondre à son ordre d’appel. Avant de porter contre ces Français lointains un jugement sévère, il conviendrait de se demander si tout a été fait pour garder le contact avec eux, pour leur faire connaître la France, pour la leur faire aimer2. » 3 Au Brésil comme en Argentine, ces comités étaient souvent constitués de petits employés, d’artisa ... 5Cependant, nombre de Français d’Amérique latine restèrent attentifs à la situation de leur pays d’origine pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans différents pays, des comités en faveur de la France Libre nommés comités France Libre ou comités de Gaulle se constituèrent, parfois autour d’amicales d’anciens combattants. Selon le Journal officiel de la France combattante du 28 août 1942, quatre cents comités existaient à cette époque. Trois cents se trouvaient en Amérique du Sud et centrale. Il y en avait quinze au Brésil, trente-deux au Mexique, quarante en Argentine3. 4 Voir dans ce volume la contribution de Anfrol M., Les discours et messages du général de Gaulle, ... 5 Voir dans ce volume la contribution de Belot R., Les comités de la France Libre en Amérique latin ... 6 Voir dans ce volume la contribution de Dumont-Quessard J., La défaite de 1940 une étape dans la ... 6Ces comités, souvent composés de Français modestes, s’efforçaient de soutenir la France Libre, de propager des informations sur elle, sur la Résistance en France, de diffuser les discours du général de Gaulle4 et de lutter contre l’influence de Vichy, de ses institutions culturelles, comme l’Alliance française. Brochures, bulletins, kermesses, œuvres multiples collectes de fonds, envois de soldats, expéditions de colis, etc. contribuaient à servir la cause de la France Libre5. Ces réseaux parfois très actifs s’appuyaient en outre, en Amérique latine, sur une francophilie encore active, malgré la montée en puissance des États-Unis et d’une certaine américanité6. Ils devaient en outre affronter plus ou moins directement, dans certains États, la propagande nazie véhiculée par les fortes implantations allemandes. Ils faisaient circuler entre eux l’information venue de Londres et y envoyaient les articles servant leur cause, tels ceux de Georges Bernanos. 7Quelle était la situation des pays où Georges Bernanos, Roger Caillois et Jules Supervielle vécurent pendant la Seconde Guerre mondiale ? Tour d’horizon de l’Amérique latine Au Brésil 7 Mauro F., Histoire du Brésil, Paris, Éditions Chandeigne, 1994, p. 127. 8 Ollivier L’Amérique du Sud et la France libre », Espoir, n° 114, janvier 1998, p. 11-12. 9 Un journal nazi de langue allemande, Deutscher Morgen, propageait l’hitlérisme. Les manifestations ... 8Devenu dictateur en 1937 après avoir été président constitutionnel, Getulio Vargas exerça une censure sévère, supprima les partis, institua une police politique. Cet exercice du pouvoir le fit assimiler aux dirigeants des pays de l’Axe7. Les comités de la France Libre, notamment le comité central » de Rio de Janeiro, furent alors surveillés et durent agir de manière assez souterraine. Mais lorsque le Brésil entra en guerre aux côtés des États-Unis, le 22 août 1942, les comités purent s’exprimer au grand jour. Une certaine partie du peuple brésilien, la majorité des Français du Brésil, nombre de ressortissants européens et les responsables des pays alliés appuyaient la cause de la France Libre. La presse y était généralement favorable. Certains, tels Costa Régo, rédacteur en chef du Correio da Manha, demandaient régulièrement la reconnaissance de la France Libre8. Bernanos accusait les notables d’origine française, nommés les Quarante, d’être littéralement pourris par Gringoire et surtout l’Action Française ». Le Comité central de la France Libre était présidé, dit Philippe Soupault dans un rapport, avec autorité par M. Rendu [qui] agit avec efficacité et dignité ». Un bulletin ronéotypé hebdomadaire, de langue française, France libre, fut publié à partir du 31 mars 1941, à 3 000 exemplaires. Une brochure en langue portugaise lui fut adjointe9. En Argentine 10 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, Argentine 18GMII/323. 11 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, Argentine 18GMII/408 ; Rolland D., Politique, cultu ... 9Les Français étaient à cette époque 45 à 50 000 dont 14 à 15 000 à Buenos Aires, moins nombreux cependant que les Allemands qui, eux, demeuraient souvent en relations étroites avec le Reich. Sur 800 appelés français, 690 furent portés insoumis » lors de la mobilisation française. Les Français d’Argentine travaillaient dans tous les secteurs de la vie économique du pays, le commerce et les finances notamment. Albert Guérin, l’animateur du comité de Gaulle, était le président de la Chambre de commerce française de Buenos Aires. Président de l’Association des Anciens Combattants français d’Argentine, cet homme dont le CNF dit qu’il possédait une intelligence rapide et compréhensive, [un] esprit juste », qu’il avait les défauts de ses qualités », trop franc, autoritaire et despotique » pour d’autres, faisait preuve dans le bulletin de son comité d’un lyrisme enflammé qui le faisait taxer aussi d’ excellent président de Comité, probablement le plus complet que nous ayons à l’étranger10 ». La communauté française d’Argentine, qui avait gardé parfois certaines habitudes hexagonales, parlait souvent, surtout dans les milieux assez modestes, un français très altéré ou argotique, où les hispanismes abondaient. C’étaient ces personnes – petits commerçants, employés d’import-export ou de banques, auxquels s’agrégèrent les réfugiés, parfois aisés – qui soutinrent la cause de la France Libre11. 12 En 1941 et 1942, le FBI et l’Ambassade américaine, plutôt encline à minorer le phénomène, estimai ... 13 Ayerza de Castilho L., Felgine O., Victoria Ocampo, Paris, Criterion, 1990 rééd. numérique, 2012. 14 Institut national de l’audiovisuel INA, propos de Roger Caillois, Archives du xxe siècle », 18 ... 15 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy, Argentine, dossier 144/1. 16 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy, Argentine, dossier 147. 10En octobre 1941, la France Libre comptait 7 000 adhérents en Argentine12. Certains, comme Pierre Lévis, cadre d’une maison de grains, ami de Roger Caillois, lui donnaient une partie de leur salaire. Les Français les plus fortunés, eux, ne se mêlaient pas à ce qu’ils considéraient comme la populace qui fréquentait le club de l’Aviron. Ils étaient, eux, souvent pétainistes. L’Argentine disposait, comme beaucoup d’autres pays d’Amérique Latine, mais peut-être plus encore, d’une élite francophone et francophile. Ainsi Victoria Ocampo, née en 1890, fut élevée par deux gouvernantes, l’une de langue anglaise, l’autre de langue française. Elle n’écrivit en espagnol qu’assez tard, à l’âge de 47 ans13. Roger Caillois, dont elle soutint l’action, évolua auprès d’elle dans un milieu parfaitement bilingue, voire trilingue, au contact de la très brillante équipe de SUR pourtant soucieuse d’américanité14. Comme le déclarait l’ambassadeur de France Jean Tripier, le 3 octobre 1940 Dans la classe supérieure argentine, on dit volontiers que l’Argentine a été faite par le bras italien, le capital anglais et la pensée française15. » Victoria Ocampo, libérale affirmée, était en outre une antifasciste déclarée. Elle faisait partie du mouvement Accion Argentina, fondé sous l’impulsion de Gonzalez Rouro, en mai 1940, après l’invasion des Pays-Bas et de la Belgique. Celui-ci, dans son manifeste publié le 6 juin 1940, proclamait l’attachement des Argentins à la démocratie, leur opposition aux principes totalitaires. De nombreux Argentins connus le signèrent. Des congrès suivirent, par exemple celui de mai 1941, qui appela à ne pas reconnaître les conquêtes territoriales acquises par la violence, et à la fermeture des missions diplomatiques des États totalitaires16. Lorsqu’Henri Focillon, intellectuel français exilé aux États-Unis et engagé au sein de la France Libre, fit un voyage en Argentine et qu’il donna une conférence au Jockey-Club pour le comité France-Amérique de Buenos-Aires, plus de 70 membres de la haute société argentine vinrent ainsi l’écouter. Si la presse argentine était souvent antifasciste, il existait cependant un journal pro-allemand, El Pampero. Le comité de Gaulle disposa d’un bulletin, Pour la France libre, créé en juillet 1940, tiré à 35 000 exemplaires en français et à 105 000 exemplaires en espagnol selon Jean-Paul Cointet. Il diffusait un bulletin radio-presse. Albert Guérin fonda en janvier 1943 l’hebdomadaire La France nouvelle jugé parfois marxisant des notes envoyées à Londres en témoignent. Le Vichyste Georges Denicker, le 17 juillet 1941, déplorait 17 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy, Argentine, dossier 144. Pour beaucoup de gens de ce pays, tout ce qui est français se confond de bonne foi avec la propagande gaulliste. […] Jamais, depuis un an, le gouvernement français n’a été tenu par la presse comme digne d’exprimer une opinion. Tout était réservé à de Gaulle ou aux Anglais17. » 11L’Argentine était officiellement neutre. Mais l’armée argentine, influencée par Mussolini, avait des sympathies pour l’Axe. En Uruguay 18 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, Uruguay, dossier 151. 19 Alfredo Baldomir fut président de 1938 à 1943. Le gouvernement de Juan J. Amézaga 1943-1947 affer ... 12 La colonie française de Montevideo est politiquement négligeable en raison de son faible effectif et de sa position indéterminée le puissant appui dont bénéficie le mouvement de la France Libre vient de la population uruguayenne » dit un rapport du CNF le 16 mars 1941. Il existait cependant un comité de Gaulle à Montevideo dirigé par Albert Ledoux, ambassadeur démissionnaire devenu le représentant du général de Gaulle en Uruguay. Ce comité était composé à 80 % d’Urugayens, selon des sources internes. Lorsque des tensions s’élevèrent entre Albert Ledoux, Emmanuel Lancial, représentant régional de la France Libre, et Albert Guérin, que les deux premiers trouvaient, comme beaucoup, autoritaire et trop à gauche, le général de Gaulle dut leur faire comprendre qu’une coopération était absolument nécessaire. Le gouvernement, malgré la neutralité proclamée en 1939, le clergé et une certaine partie de la population très liée à l’Allemagne nazie penchaient pour l’Axe, selon un rapport de la diplomatie française18. La majeure partie de la population était toutefois très francophile. Il faut rappeler que le 14 juillet fut jusqu’en 1943 la fête nationale de la patrie de naissance d’Isidore Ducasse, futur comte de Lautréamont, de Laforgue et Supervielle. Le 20 juin 1940, le président Baldomir déclarait à un journal argentin L’Uruguay professe pour la France une affection profonde. Les Uruguayens sont imprégnés de son art, de sa philosophie et de sa science19. » Signe de cet attachement, des manifestations se produisirent en mai 1940 devant des salles combles les réunions publiques n’étant pas autorisées, ainsi qu’à l’annonce de fusillade d’otages en France. Les déportations de Juifs choquèrent profondément l’opinion publique ainsi qu’une partie de l’épiscopat ce fut aussi le cas en Argentine. Des mouvements de sympathie pro de Gaulle se produisirent au moment du 14 juillet, et ce régulièrement, comme en Argentine. 20 Paseyro R., Jules Supervielle, le forçat volontaire, Paris, Le Rocher, 1987 rééd. 2002. Voir Coll ... 13En novembre 1942, des élections portèrent au pouvoir une coalition démocratique en Uruguay Déjà en guerre contre l’Allemagne, le gouvernement uruguayen fut le premier au monde à reconnaître celui de De Gaulle20 », ce qui constitua l’amorce d’un mouvement diplomatique en sa faveur. Bernanos, Caillois, Supervielle 14L’action de Georges Bernanos, Roger Caillois et Jules Supervielle en faveur de la Résistance extérieure, pendant la guerre, fut très différente. Georges Bernanos 1888-1948 21 Aron R., Mémoires, Paris, Julliard, 1983, p. 141. Sur son évolution quant à l’antisémitisme, les op ... 22 Bothorel J., Georges Bernanos, le mal-pensant, Paris, Grasset, 1998, p. 319. 15Célèbre talent venu de la droite française, auteur, selon Raymond Aron dans ses Mémoires, d’un ouvrage passionnément antisémite » en 1931 La Grande Peur des Bien-Pensants21, Bernanos évolua beaucoup à partir de la guerre d’Espagne il condamna ainsi les nationalistes franquistes dans Les Grands cimetières sous la lune. Révulsé par la nouvelle Europe totalitaire qui se préparait, il quitta le 20 juillet 1938 le sol français pour l’Amérique latine. Il pressentait le malheur, le prophétisait même. Il voulut se rendre avec sa nombreuse famille au Paraguay mais, n’y parvenant pas, et n’ayant pas les moyens financiers de s’installer en Argentine où il séjourna et rencontra Victoria Ocampo, il finit par s’établir au Brésil et prit vite des positions anti pétainistes qui lui interdirent tout retour en France occupée, ce qu’il n’envisagea même pas22. Pourquoi cet exil ? Au père Bruckberger, il écrivit, fin 1938 La véritable pensée française doit se former hors de France, parce que l’atmosphère dans laquelle on vit là-bas l’empêche d’éclore », ajoutant À ceux qui se demandent pourquoi j’ai quitté mon pays pour le Brésil, je pourrais dire que je suis venu ici couver ma honte. » Peut-être un certain esprit d’aventure intervint-il aussi dans ce choix. Il n’eut en effet de cesse que d’y acheter une ferme, une fazenda ». Soutenu par des membres francophiles de l’élite de Rio de Janeiro qui l’admiraient, Bernanos publia entre mai 1940 et mai 1945 trois cents articles ou messages radiophoniques engagés. Son premier papier, publié dans O Jornal, grand quotidien brésilien, date du 29 juin 1940. Profondément lucide face aux horreurs hitlériennes, il y déclarait Cette guerre est la guerre de la race. C’est pourquoi elle est une guerre d’extermination. » Comme il était assez démuni, un de ses amis brésiliens, Virgilio Mello-Franco, lui permit de bénéficier d’une collaboration régulière avec O Jornal. À partir de janvier 1942, ses revenus doublèrent, lui permettant de vivre aisément et d’écrire parfois bénévolement. Jean Bothorel, un de ses biographes, indique d’ailleurs que le gouvernement de Getulio Vargas, même avant l’entrée en guerre du Brésil le 22 août 1942 aux côtés des Alliés, ne cherchera pas, ou peu, à le censurer. Les autorités » politiques étaient, au fond, indifférentes à ses longues diatribes contre Hitler, Pétain, Laval et toute l’équipe de Vichy, assorties de considérations hostiles sur Staline ou sur les “Yankees” ». Ceci contrairement à la hiérarchie catholique qui manifestait son mécontentement auprès de l’Ambassadeur de France, lequel se plaignit dans une note à Vichy de ses accents hérétiques ». D’ailleurs, comme l’indique un rapport d’Albert Ledoux, la censure se relâcha avec l’évolution de la position des États-Unis. Des raisons familiales accentuèrent les choix de Georges Bernanos son fils Yves rejoignit la France Libre en juillet 1941 et son fils Michel en décembre 1942. 23 Bernanos G., Essais et écrits de combat, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade », 1971, introduction ... 16Au Brésil, il s’éleva donc contre la dictature hitlérienne et la capitulation française. Selon Michel Estève23, pour Georges Bernanos 24 Lorsqu’il entendit l’Appel du général de Gaulle à la radio brésilienne, Georges Bernanos fut extrêm ... Accepter par avance une victoire pour l’Allemagne revient à trahir la vocation même du chrétien et de la France. Suivre l’appel du 18 juin 40, adhérer à la Résistance, envisager la révolte comme le seul recours possible est pour la France et l’Europe la seule façon de sauver leur liberté et leur âme24. » 25 Bernanos G., Lettre aux Anglais, Rio de Janeiro, L’Arbre, Atlantica editora, 1942, p. 112. 26 Bothorel J., Georges Bernanos, le mal-pensant, op. cit., p. 32-33. 17Dans Lettre aux Anglais, Bernanos déclara ainsi J’ai remis mon espoir entre les mains des insurgés. J’en appelle à l’Esprit de Révolte, non par une haine contre le conformisme mais parce que j’aime encore mieux voir le monde risquer son âme que de la renier25. » Les articles, les conférences et les essais qu’il publia furent donc dans l’esprit de la Résistance et appelèrent à une Renaissance chrétienne. Le 1er janvier 1942, il écrivit dans O Jornal Le général de Gaulle n’a pas triché. Il a pris son risque au moment le plus critique, et il l’a pris tout entier. » Mais la seule autorité légitime qu’il reconnaissait était celle du descendant de la famille d’Orléans. Le général de Gaulle, homme providentiel, était pour lui le délégué provisoire » de cette autorité. Anti-pétainiste, ce monarchiste pourfendit le gouvernement de Vichy, la révolution nationale », tout en se gardant longtemps d’adhérer au mouvement gaulliste. Jean Bothorel souligne qu’il ne s’y associa qu’au mois de juin 1942 et qu’il soutint sans équivoque le parti du général de Gaulle contre celui du général Giraud en juin 194326. Dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes 1943-1945, il écrivait Le 18 juin 1940 est ce jour où un homme prédestiné – que vous l’eussiez choisi ou non, qu’importe, l’Histoire vous le donne – a d’un mot qui annulait la défaite, maintenu la France dans la guerre. Français, ceux qui essaient de vous faire croire que ce jour et cet homme n’appartiennent pas à tous les Français se trompent, ou vous trompent. Ralliez-vous à l’Histoire de France. » 18Il collabora, par l’intermédiaire d’Auguste Rendu, architecte, ancien combattant, chevalier de la Légion d’honneur, mutilé de la guerre de 1914-1918, président du comité de Gaulle de Rio de Janeiro, à la BBC, au bulletin périodique du comité intitulé France libre puis France Combattante. Il publia un appel aux Français résidant en France dans le n° 3 du Bulletin du comité de Gaulle de Buenos Aires, où il affirmait notamment Il importe peu que vous soyez d’accord sur l’avenir, il suffit que vous ne le laissiez engager par personne, aussi longtemps que la France ne sera pas libre, aussi longtemps que ne sera pas restitué l’honneur. […] Ne lâchez rien ! N’abandonnez rien ! » 19Dans le Bulletin n° 5 Pour la France Libre, il écrivait Je tiens le rôle de l’écrivain pour utile et même important, je ne me fais pas non plus de cette importance une idée excessive. […] Je n’ai […] jamais été républicain, mais j’ai compris maintenant ce que ce mot exprimait – à tort ou à raison – pour des millions d’hommes qui ont mis en lui leur foi et leur fierté. […] Lorsque je lis dans ce bulletin ces lettres si naïves, si bouleversantes, de pauvres gens qui envoient tout leur cœur avec un billet de cent sous, je sens profondément la grandeur et la misère de l’écrivain en présence de tels êtres. Que leur apporterais-je qu’ils n’aient déjà, puisqu’ils ont l’héroïsme et la foi ? […] Pour moi, je n’ai plus ni classe ni parti […] Je ne veux plus croire qu’à l’honneur français. » 27 Arch. MAE, Londres, dossier Bernanos. 28 Voir la lettre de Georges Bernanos à Virgilio de Mello-Franco. Le général de Gaulle m’a câblé […] ... 29 J’ai aimé le Brésil pour bien des raisons, mais d’abord et avant tout parce que j’étais né pour l ... 30 Carelli M., La rencontre de deux monde Caillois et Bernanos », Cahiers Georges Bernanos, n° 2, ... 31 Soupault Ph., Profils perdus, Paris, Mercure de France, 1963, p. 77-78. 32 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Alger, Argentine 18GMII/1094, 18GMII/1292 et 18GMII/1294. 33 Carelli M., La rencontre de deux monde Caillois et Bernanos », art. cité. Plusieurs lettres de ... 20À la même époque, Albert Guérin intervint auprès du général de Gaulle au sujet de ce brillant et courageux partisan de [la] cause [de la France Libre] » et pour une meilleure diffusion de ses articles27. Le 8 mai 1942, le général de Gaulle remerci[a] vivement M. Bernanos de son offre ». Le comité national assurera volontiers la diffusion d’articles qui feront certainement honneur autant au patriotisme de M. Bernanos qu’à ses talents d’écrivain ». Le CNF écrivit à Brazzaville et Beyrouth pour assurer la plus large diffusion à la lettre ouverte de Bernanos aux Anglais. En réponse, le général de Gaulle annonça la création de La Marseillaise à Londres à laquelle Georges Bernanos fut prié de donner des textes Souhaitons papiers moraux, politiques plus que religieux. Éviter complaisance politique à notre égard. » Ses articles furent alors transmis par Auguste Rendu, par télégraphe, à Londres28. Jean Bothorel précise qu’il toucha pour chacun de ses textes dans La Marseillaise 50 dollars. Il en donna alors la moitié au comité France Libre de Rio de Janeiro. À la même époque, Georges Bernanos exprima le désir de s’établir en terre française », à Brazzaville ou en Syrie. Albert Guérin s’entremit. Mais Bernanos y renonça et, attaché au Brésil, poursuivit son exil sur ce sol29. Une partie de sa famille y fit souche. Ses essais et articles visionnaires eurent un grand retentissement. La Lettre aux Anglais 1942 éditée au Brésil par Charles Ofaire, connut plusieurs éditions clandestines en Europe et contribua, selon Mario Carelli30, à faire basculer l’opinion brésilienne hésitante jusqu’en 1942. Un texte écrit à l’intention de la France, Vous serez jetés sur le parvis », fut reproduit par Franc-Tireur et par France, selon une note conservée aux archives diplomatiques. Beaucoup de visiteurs de Georges Bernanos le dépeignirent avec tendresse. Philippe Soupault, dans Profils perdus, évoque sa verve étonnante », sa prodigieuse vitalité », ses colères homériques. Il s’exprimait avec une franchise et une violence admirable » raconte-t-il de ce prodigieux personnage31 ». Il en fit, dans un rapport à Alger, un vibrant éloge Il est un fervent défenseur de la France combattante et de ses chefs mais il reste un individualiste qui refuse toute discipline. Cette attitude qui fut toujours la sienne fait sa force32. » Roger Caillois, évoqua avec une rare chaleur celui qu’Étiemble appelait, dans une lettre, le tonitrueur33 ». Georges Bernanos ne rentra pas immédiatement en France, malgré les demandes de De Gaulle. Il ne quitta le Brésil que le 2 juin 1945. Roger Caillois 34 Felgine O., Roger Caillois, op. cit. 35 Il devait impérativement se marier, du fait des contraintes sociales de l’époque concernant les nai ... 36 Le 3 septembre 1939, il comptait reprendre son poste au lycée de Beauvais mais ne savait pas s’il a ... 21Né en 1913 à Reims il mourut à Paris en 1978, normalien, agrégé de grammaire en 1932, mythologue de talent » selon Marcel Mauss, élève de Georges Dumézil à l’École pratique des hautes études en sciences religieuses, il avait été la boussole mentale du surréalisme » puis évolua à l’extrême gauche tout en manipulant, à notre sens inconsidérément, au collège de sociologie, des thèses qui purent le faire soupçonner de fascisme34 ». Il se déclara alors communiste dans son article La hiérarchie des êtres ». Il prônait l’aridité, la rigueur, l’avènement d’une élite de clercs. Connu dans un cercle intellectuel restreint, collaborateur de la NRF de Jean Paulhan, il rencontra l’essayiste et éditrice argentine Victoria Ocampo chez Jules Supervielle, fin 1938. Ils se lièrent. Toujours avide de signatures prometteuses pour sa prestigieuse revue, SUR, Victoria Ocampo, qui disposait d’une fortune considérable, l’invita à faire une série de conférences sociologiques en Argentine. Débarqué sur le sol argentin le 11 juillet 1939, Roger Caillois y fut surpris par la guerre. Il envisagea un temps de rentrer en France, par nécessité35, ce qui était concrètement impossible en raison du trafic maritime et de sa situation militaire36. Il resta donc auprès de Victoria Ocampo qui le prit en charge matériellement, et il prit position, dès octobre 1939, contre l’hitlérisme. Le 13 octobre, il annonça avoir écrit 37 Lettre à Yvette Billod, 13 octobre 1939 collection Catherine Rizea-Caillois, inédit. une chose sur Hitler dans le genre de la déclaration du Collège de Sociologie mais beaucoup plus long. J’ignore d’ailleurs tout à fait dans quelle mesure cela peut plaire à ces gens car j’ai exprimé mes idées – et non les leurs – et ce n’est peut-être pas suffisant que les conclusions concordent, quand les raisons qui les amènent sont si différentes37 ». 38 Lettre à Yvette Billod, 21 octobre 1939 collection Catherine Rizea-Caillois, inédit. À rapprocher ... 39 Ibid., p. 124-125. 40 Lettre à Yvette Billod collection Catherine Rizea-Caillois. À la mi-décembre, il expliquait qu’il ... 41 Lettre à Yvette Billod collection Catherine Rizea-Caillois, inédit. À partir de juillet 1940, il ... 22Le 21, il s’exclamait J’ai fini mon travail sur Hitler une condamnation purement sociologique, en dehors de tout parti-pris national ou moral. L’attaché culturel est très embarrassé. Il voudrait que cela soit tiré à 10 000 exemplaires et distribué aux intellectuels en Amérique du Sud38. » Quelques jours après, fut publié le numéro 61 de SUR avec son étude Nature de l’hitlérisme », ainsi que d’autres écrits antifascistes, Veille de guerre » de Victoria Ocampo et Essai d’impartialité » de Jorge Luis Borges. Le 11 novembre, dans une lettre à Jean Paulhan, Roger Caillois condamnait l’hitlérisme par ces mots L’hitlérisme est un idéal qui ne permet pas qu’on y adhère. Il faut la grâce et celle-ci n’est pas la récompense de la vertu, mais une donnée de la naissance39. » Début décembre, il dit vouloir toujours partir mais les bateaux italiens, les seuls bateaux de passagers à peu près sûrs sont pleins40 ». Il poursuivit néanmoins ses travaux le 12 mars 1940, Caillois déclarait avoir écrit un nouvel article sur l’hitlérisme pour le supplément littéraire de La Nacion, quotidien libéral argentin. En avril, il travaillait à l’ambassade comme attaché à l’Information pour la section culturelle il devait, dans la presse, repérer la propagande allemande et l’inquiétude locale à cause du blocus puis faire des rapports sur la question ». Il se rendait aussi dans les cinémas d’actualité surveiller les reportages allemands et contrôler les français ces derniers au studio, avant la projection publique. » Fin avril, il écrivit une chose sur Athènes et Philippe, l’Hitler de l’époque41 ». 42 Felgine O., Roger Caillois, op. cit. 43 Médiathèque Valery Larbaud MVL, fonds Caillois, lettre d’Étiemble à Roger Caillois. 44 MVL, fonds Caillois, lettres de Raymond Aron à Roger Caillois. 23À la mi-juillet 1940, il quitta le service de l’ambassade passée aux mains des pétainistes, pour celui du Royaume-Uni. Les Britanniques l’envoyèrent prononcer dix conférences en Uruguay sur le danger hitlérien et la signification de l’hitlérisme42 ». La légation allemande protesta l’Uruguay et l’Argentine étaient théoriquement neutres. À partir de ce moment, Roger Caillois ne put plus rentrer en France. Rapidement, il adhéra au comité de Gaulle établi dans diverses villes d’Argentine, seule force d’opposition structurée aux pétainistes, qui constituait aussi une de ces sectes qui le fascinaient. Auprès de Victoria Ocampo, femme exceptionnelle qui n’avait d’autre passeport que le talent, comme elle le disait, il fréquenta une grande partie des meilleures plumes d’Amérique latine dont Jorge Luis Borges. Il n’en négligea pas pour autant ses compatriotes et amis. Son ancien collègue du lycée de Beauvais, René Étiemble, qui fit des séjours au Mexique, lui proposa de fonder avec lui une revue qui, durant l’interrègne Pétain, assure la survie de ce qu’[ils aimaient], en français et distribuée surtout dans les pays de l’Amérique latine où NRF et semblables magazines avaient beaucoup de lecteurs » ; une revue, essentiellement, de critique et de doctrine littérature, arts, politique, réunissant surtout des essais sérieux43 ». Le projet, en fait, fut développé par Roger Caillois en Argentine sous le titre Lettres Françaises. Il fut évoqué dès le 5 novembre 1940 par Supervielle. Victoria Ocampo, avec une détermination et une constance louables, mit les infrastructures de SUR, son réseau d’amitiés et une partie de sa fortune au service de ce projet. Roger Caillois fit, quant à lui, preuve d’un acharnement et d’une énergie remarquables. Il fit appel aux écrivains et artistes exilés en Amérique latine et du Nord mais aussi, tant qu’il le put à Jean Paulhan et à Jean Ballard, restés en France, pour assurer à sa revue des textes inédits de qualité. La revue, de langue française, s’adressant aux lecteurs américains » du Sud mais aussi du Nord ainsi qu’aux communautés francophones entendait à la fois servir la France Libre, donner la parole aux écrivains français, et aider la littérature et la langue françaises en Amérique. Des bulletins de souscription lui accordaient un peu d’autonomie financière, personnalités argentines autant que membres de la communauté française lui apportant leur soutien. Des éditions lui furent jointes la collection des Amis des Lettres Françaises, La Porte étroite. Son premier numéro, sous-titré Cahiers trimestriels de littérature française, édités par les soins de la revue SUR avec la collaboration des écrivains français résidant en France et à l’étranger », parut en juillet 1941. Du fait d’un obstacle juridique, Victoria Ocampo fut présentée comme la directrice de ce qu’elle déclara être un supplément francophone de sa revue. La revue eut 20 numéros, le dernier le numéro 17-20 fut publié en 1947, après le départ de Roger Caillois. Beaucoup d’intellectuels, de poètes exilés en Amérique du Nord y collaborèrent, soit en donnant des textes, soit en aidant Caillois à s’en procurer. Des réseaux spontanés d’amitié se constituèrent autour d’elle. Ainsi Raymond Aron, rédacteur en chef de la revue mensuelle La France Libre non gaulliste mais proche du mouvement », créée à Londres par André Labarthe, appuya chaleureusement Roger Caillois tout au long de sa mission44. Valéry, Michaux, Benjamin Fondane, Saint-John Perse, André Breton, Marguerite Yourcenar, Jorge Luis Borges et tant d’autres se croisèrent dans cette revue qui eut un rôle un peu similaire à celui de Fontaine ou L’Arche en Algérie ». Un de ses numéros fut parachuté, miniaturisé, sur la France métropolitaine par la 45 Felgine O., Roger Caillois, op. cit. 46 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Alger CFLN, Argentine, 1292, rapport d’Henri Seyrig. 24Parallèlement, Roger Caillois qui, un peu comme Saint-Exupéry, pensait que l’écrivain français exilé avait des privilèges et des devoirs face à ses pairs en France occupée – mais sans être antigaulliste –, fonda avec Robert Weibel-Richard, ancien attaché culturel français et professeur à la faculté des lettres, l’Institut français d’études supérieures de Buenos Aires qui s’adressa à un public gaulliste et cultivé45. Il y songeait depuis 1940 puisqu’à cette époque il écrivait à Yvette Billod qui devait le rejoindre en Argentine pour l’épouser Je pense quelquefois à fonder une sorte d’Institut d’Études Classiques où l’on enseignerait les langues et littératures grecques, romaines et françaises. Cela manque beaucoup ici, et je crois que cela aurait des élèves. Mais c’est un projet de grande envergure. Il faudrait que vous soyez là. » L’Alliance française était vichyste, recevant une subvention du gouvernement de Pétain ; l’enseignement du français dans les collèges privés était, quant à lui, catastrophique. En août 1942, Henri Focillon vint inaugurer ce qui fut présenté comme une branche de l’École libre des hautes études de New York. Roger Caillois envisagea d’en fonder un autre à Montevideo, en Uruguay, mais Claude Lévi-Strauss, secrétaire général du Centre d’études et d’information pour les relations avec l’Amérique centrale et l’Amérique du Sud, le lui déconseilla. Ç’aurait été trop de travail. Les moyens de l’Institut étaient modestes. Il y avait cinq professeurs au début Robert Weibel-Richard, ancien attaché culturel, licencié ès lettres, directeur de l’Institut, Roger Caillois, Yvette Caillois, licenciée ès lettres avec diplôme d’études supérieures, ancien professeur au lycée Racine et au lycée Jules Ferry à Paris, Simone Garma, licenciée ès lettres, ancien professeur au lycée français de Madrid, Jeanne Bathori, ancien professeur à la Schola cantorum, directrice du théâtre du Vieux Colombier en 1917-1918. En juin 1943, outre ces membres fondateurs, Paul Bénichou, agrégé des lettres, Mme Luesma-Lagoubie, licenciée ès lettres, ancien professeur au lycée de Bordeaux et au lycée français de Montevideo, Désiré Patt, docteur ès sciences de l’université de Budapest, ancien professeur à l’université de Marseille, Mme Icard, licenciée ès sciences, Fides Castro, professeur de chant et Ada Poliakowa, premier prix de Conservatoire national de Petrograd, dispensaient aussi leur savoir. Il y avait six cents élèves pendant la saison et quarante cours, de langue et littérature françaises, de langue et littérature classiques, d’histoire et sociologie et d’interprétation musicale. Les certificats délivrés étaient proches de la licence46. Le public était composé de dames de la haute société portègne, de petits commerçants, de jeunes filles réfugiées. Très vite, l’Institut fut très fréquenté et sa situation financière apparut saine. Dans ce foyer du gaullisme, furent donnés des concerts, des spectacles et un dîner par mois réunissant élèves, enseignants, invités venus des États-Unis ou d’ailleurs. Le gouvernement argentin ne s’en accommoda pas vraiment des manifestations de profascistes eurent lieu devant l’Institut, et des mesures d’intimidation furent agitées. 47 Ibid. 25L’Institut bénéficia d’une subvention de la part du comité de Gaulle de Buenos Aires. Henri Seyrig, chargé de mission par le CNF, s’exclamait dans son deuxième rapport le 25 juin 1943 La France combattante peut être justement fière d’avoir créé cette institution qui doit devenir et est déjà, dans une large mesure, le pilier de notre influence culturelle dans la République argentine47. » Jules Supervielle 1884-1960 48 Paseyro R., Jules Supervielle, le forçat volontaire, op. cit., p. 193. 49 Soupault Ph., Profils perdus, op. cit. ; Mousli B., Philippe Soupault, Paris, Flammarion, 2010, p. ... 26Écrivain et poète français reconnu, il naquit en Uruguay, où demeurait une grande partie de sa famille. Même si ses ancêtres étaient basco-béarnais, même s’il écrivait en langue française, s’il possédait de nombreux amis dans le milieu littéraire français tels que Jean Paulhan, Henri Michaux, Paul Morand Jules Supervielle appartenait aussi à l’Uruguay, dont il possédait la nationalité et où il faisait de fréquents séjours. Lui qui ne se déplaçait jamais durant l’hiver austral se rendit en août 1939 en Uruguay pour le mariage de son fils aîné. Il y fut bloqué pendant six ans et demi, la guerre s’étant déclarée cent heures après son arrivée. Ses filles demeuraient en France métropolitaine. Il fut en quelque sorte exilé dans un de ses pays. La complexité de cette situation l’empêcha peut-être de se déterminer politiquement aussi vite et nettement que Georges Bernanos et Roger Caillois aux côtés de la Résistance extérieure. Selon son gendre et biographe Ricardo Paseyro, Supervielle n’avait rallié ni de Gaulle ni Pétain. Ses rapports avec la légation de Vichy étaient strictement protocolaires ». Anticommuniste, il trouvait des mobiles honnêtes à la conduite de ses amis Paulhan le résistant, Jouhandeau le collaborateur, Morand le maréchaliste, Michaux le marginal, Saint-John Perse antigaulliste et anti-pétainiste48 ». Deux de ses gendres, Pierre Bertaux et Pierre David, étaient cependant engagés en France et en Afrique dans la lutte antihitlérienne. Ce grand ami de Victoria Ocampo, en réalité, manifesta son anti-pétainisme et son antinazisme dans ses poèmes. Dans son Journal, en partie publié, il exprimait sa tristesse de voir la France occupée. Il écrivait ainsi Les armées du Reich viennent d’envahir le nord de la France. Le cerveau ne sait comment s’y prendre pour contenir des nouvelles aussi volumineuses et répugnantes. » En septembre et octobre 1940, cet auditeur de la BBC composa les quatre premiers Poèmes de la France malheureuse Ô Paris ville ouverte/Ainsi qu’une blessure » qui furent dédiés à Angelica Ocampo, la sœur la plus proche de Victoria Ocampo. Le 2 novembre 1940, Roger Caillois, qui le vit à Montevideo le Franco-Uruguayen venait d’apprendre que la banque Supervielle avait fait faillite écrivit à Yvette Billod Il se remettait à peine des émotions que les affaires d’Europe lui avaient causées. » Philippe Soupault, en mission, le rencontra en 1943 à Montevideo Il était triste, même malheureux, comme moi, quand il écoutait les nouvelles de la France occupée. Il souffrait mais ne voulait pas être désespéré. “Ce n’est pas possible” me répétait-il. C’était pourtant possible49. » 27Jules Supervielle donna deux des quatre premiers poèmes à la revue de Roger Caillois, Lettres Françaises, dès son premier numéro. En novembre 1941, six furent publiés en plaquette dans la collection des Amis de Lettres Françaises. Quatre autres furent proposés dans le n° 5 le 1er juillet 1942, et trois enfin dans le n° 9 de Lettres Françaises du 1er juillet 1943. Ce fut sa façon de s’engager. Ses poèmes, d’ailleurs, furent lus en France. En juin 1942, Albert Béguin, qui depuis Bâle, dirigeait Les Cahiers du Rhône et voulait les publier, lui écrivit combien ils l’avaient ému. Ruiné par la faillite de la banque familiale, Jules Supervielle regagna la France en avril 1946 comme diplomate uruguayen. D’une Amérique l’autre, destins croisés d’intellectuels 50 Loyer E., Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil 1940-1947, Paris, Grasset, ... 51 MVL, fonds Caillois, lettres de Claude Lévi-Strauss à Roger Caillois. 52 MVL, fonds Caillois, lettre d’Henri Seyrig à Roger Caillois, 17 août 1943 Je me suis remué de t ... 53 Rolland D., Vichy et la France libre au Mexique guerre, cultures et propagande pendant la Seconde ... 54 MVL, fonds Caillois, lettre d’Agustin Ruano Fournier à Roger Caillois, 7 octobre 1940 Je préfèr ... 55 MVL, fonds Caillois, lettre de Sara Rey-Alvarez à Roger Caillois, 7 novembre 1940. Ce professeur de ... 28Emmanuelle Loyer, dans son ouvrage Paris à New York50, laisse entendre que les relations entre exilés d’Amérique du Nord et exilés d’Amérique latine étaient hiérarchisées La vie intellectuelle new yorkaise […] chapeautait les autres centres littéraires de l’exil, cette position étant considérée comme clairement hiérarchique. » S’il est vrai que l’Institut d’Études supérieures de Buenos Aires fut présenté comme une annexe du Latin American Center de New York51, les correspondances de Roger Caillois, de Georges Bernanos ou de Jules Supervielle ne montrent pas une telle soumission. En matière de vie culturelle, il n’y a pas de hiérarchie. Les liens avec la Résistance extérieure, les comités de Gaulle et les actions des écrivains français en leur faveur dépendirent essentiellement du CNF installé à Londres. Je n’ai pas trouvé trace de subordination vis-à-vis des exilés aux États-Unis. Les lettres témoignent d’échanges fraternels entre eux, de services rendus de part et d’autre. D’ailleurs, Roger Caillois ne réussit pas à se rendre en visite aux États-Unis pays certes plus riche, malgré une invitation officielle de M. Mirkine-Guetzevitch du 21 juillet 1943 et les efforts d’Henri Seyrig52. Ni d’un côté, ni de l’autre, on ne dispose d’assez d’argent pour assurer ce déplacement. Lettres Françaises fut d’autre part publiée avant la revue de l’École libre de New York, Renaissance qui parut à la fin du printemps 1943. Il est à noter cependant qu’il y eut plus de circulation d’informations et d’échanges entre les différents pays d’Amérique du Nord et du Sud à partir de ce moment. Des amitiés durables, parfois surprenantes, naquirent de ces rencontres étayées parfois par un épistolaire plus ou moins contrarié par les aléas de l’acheminement postal Breton/Saint-John Perse, Saint-John Perse/Caillois, Bernanos/Soupault ou Bernanos/Caillois. En Amérique latine même, les deux pôles de résistance intellectuelle les plus actifs semblent avoir été le Mexique et l’Argentine. Denis Rolland a étudié pour le Mexique53 les cas de Paul Rivet, Jules Romains notamment gaulliste mais respectueux du Pétain de la Première Guerre mondiale. L’Argentine se distingua grâce à Victoria Ocampo et Roger Caillois mais aussi à une communauté francophile autochtone importante, parfois fortunée. Il est intéressant de remarquer aussi que les universités latino-américaines où Roger Caillois alla fréquemment donner des conférences lui demandaient souvent de traiter de sujets engagés. Ainsi celle de Montevideo qui lui suggéra d’évoquer la position de la jeunesse face au totalitarisme54. Des lettres d’auditeurs de celles-ci, conservées dans la correspondance de Roger Caillois, témoignent de l’écho qu’elles trouvaient dans la population55. 56 Provocateur, Roger Caillois affirma dans les entretiens de 1971 n’avoir jamais parlé espagnol à Bue ... 57 Saint-John Perse, Correspondance avec Roger Caillois 1942-1975, textes réunis et présentés par Joël ... 29Il faut enfin évoquer une réaction fréquente chez les écrivains français exilés tant en Amérique du Nord qu’en Amérique latine. Il s’agit de la peur de voir sa langue maternelle contaminée, en quelque sorte, par la langue dominante du pays d’accueil et le refus, pour certains, de la parler. Jules Supervielle, André Breton, Roger Caillois, le peintre André Masson, par exemple, en témoignèrent à plusieurs reprises56. Il ne s’agit sans doute là ni d’une incapacité ni d’une raideur politique mais plutôt, d’une angoisse de créateur. Garder sa langue intacte ne peut-il pas être perçu comme un acte de résistance ? Ce phénomène pourrait expliquer en partie le glissement vers le classicisme d’un Caillois grammairien et excessif à cette époque. Saint-John Perse, fin 1942, lui qui ne connut pas cette difficulté, écrit d’ailleurs à Roger Caillois La langue française [est] pour moi le seul refuge imaginable, l’asile et l’antre par excellence, l’armure et l’arme par excellence57. » 58 Sapiro G., La guerre des écrivains, Paris, Fayard, 1999, p. 640. 59 D’où de sévères et peut-être jubilatoires réactions, notamment aux États-Unis, comme celle de Wil ... 30Le retour d’exil, surtout pour les exilés en Amérique du Nord, ne fut pas simple mais il fut fructueux. Souvent mal perçus par les résistants de l’intérieur, sauf dans les cas des très grands noms qui furent d’ailleurs proposés par le général de Gaulle pour une Académie française rénovée, comme Georges Bernanos qui refusa et Jules Romains, qui accepta58, beaucoup peinèrent à retrouver une place en France où ils rentrèrent tous pour la plupart. Roger Caillois, qui n’avait pas l’exclusivisme littéraire de nombre d’intellectuels français d’alors59, fut de ceux-là. Ayant l’Amérique latine au cœur, voulant lui prouver sa reconnaissance, il mit son énergie au service d’un transfert culturel important il se fit, toujours avec l’aide de Victoria Ocampo, passeur de sa littérature qui bientôt subjugua, tant à l’Unesco que chez Gallimard, avec la collection La Croix du Sud. Il contribua ainsi également à l’émergence culturelle, au plan international, des nations nouvelles et à maintenir une certaine place de la France en Amérique latine, au moment où la langue française s’effaçait du sous-continent. Notes 1 Lévi-Strauss C., Tristes Tropiques, Paris, Plon, 1955 rééd. 1984, p. 22. 2 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy, Amérique, Argentine, dossier 144/1. 3 Au Brésil comme en Argentine, ces comités étaient souvent constitués de petits employés, d’artisans, de commerçants Crémieux-Brilhac La France libre. De l’Appel du 18 juin à la Libération, Paris, Gallimard, 1996, p. 258. On comptera en juillet 42, quatorze comités locaux de la France libre au Brésil, trente-neuf au Chili, vingt-quatre en Uruguay et cinquante-quatre en Argentine » Journal Officiel de la France Libre, n° 349, 9 juillet 1942. Selon Jean-Louis Crémieux-Brilhac, en avril 1941, 50 à 60 % des Français d’âge adulte sont membres du comité local de Rio et 80 à 90 % à Sao Paulo ». Dans cette ville, les Français les plus aisés forment “la chapelle” qui est un clan maréchaliste ». 4 Voir dans ce volume la contribution de Anfrol M., Les discours et messages du général de Gaulle, chef de la France Libre, à l’Amérique latine ». 5 Voir dans ce volume la contribution de Belot R., Les comités de la France Libre en Amérique latine pendant la guerre enjeu symbolique, politique et diplomatique ». 6 Voir dans ce volume la contribution de Dumont-Quessard J., La défaite de 1940 une étape dans la redéfinition des relations culturelles entre la France et les intellectuels latino-américains ». 7 Mauro F., Histoire du Brésil, Paris, Éditions Chandeigne, 1994, p. 127. 8 Ollivier L’Amérique du Sud et la France libre », Espoir, n° 114, janvier 1998, p. 11-12. 9 Un journal nazi de langue allemande, Deutscher Morgen, propageait l’hitlérisme. Les manifestations en faveur du parti national-socialiste n’étaient pas rares selon Hauser J., Le Comité central de Rio de Janeiro », Revue de la France libre, n° 126, juin 1960. 10 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, Argentine 18GMII/323. 11 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, Argentine 18GMII/408 ; Rolland D., Politique, culture et propagande française en Argentine. L’univers de Caillois entre 1939 et 1944 », Roger Caillois, Cahiers de Chronos, Paris, La Différence, 1991, p. 404-442. Voir aussi Felgine O., Le virage américain », Roger Caillois, Cahiers de Chronos, op. cit., p. ; ead., Roger Caillois, Paris, Stock, 1994, p. 219. 12 En 1941 et 1942, le FBI et l’Ambassade américaine, plutôt encline à minorer le phénomène, estimait à 70 % de la colonie les Français libres déclarés », cité par Rolland D., Politique, culture et propagande française en Argentine. L’univers de Caillois entre 1939 et 1944 », art. cité, p. 407. 13 Ayerza de Castilho L., Felgine O., Victoria Ocampo, Paris, Criterion, 1990 rééd. numérique, 2012. 14 Institut national de l’audiovisuel INA, propos de Roger Caillois, Archives du xxe siècle », 18 et 20 juillet 1971 ; Felgine O., Roger Caillois, op. cit., p. 207 et 219. 15 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy, Argentine, dossier 144/1. 16 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy, Argentine, dossier 147. 17 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Vichy, Argentine, dossier 144. 18 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Londres CNF, Uruguay, dossier 151. 19 Alfredo Baldomir fut président de 1938 à 1943. Le gouvernement de Juan J. Amézaga 1943-1947 affermit le retour à la démocratie. Caetano G., Rilla J., Historia contemporéana del Uruguay, de la Colonia al Siglo xxi, Montevideo, Claeh, Editorial fin de siglo, 2005, p. 232. Roger Caillois, dans une lettre à Yvette Billod inédite, collection Catherine Rizea-Caillois datée du 28 septembre 1940 raconte Ici [en Argentine] les gens ont été consternés par l’avance allemande et il y a tout de même des gens qui commencent à vouloir agir. En Uruguay déjà, le mouvement est déchaîné, avec des manifestations dans les rues etc. Mais l’Uruguay est beaucoup plus francophile que l’Argentine il a déclaré la guerre à l’Allemagne en 1914. Je crois qu’on peut cependant obtenir des choses intéressantes. » 20 Paseyro R., Jules Supervielle, le forçat volontaire, Paris, Le Rocher, 1987 rééd. 2002. Voir Collot M. et al. éd., Œuvres poétiques complètes, Jules Supervielle, Paris, Gallimard, 1996. Dans son poème intitulé France » 1943, issu du recueil Poèmes de la France malheureuse mars 1939-juillet 1944, Jules Supervielle écrivait Ô prisonnière, ô souveraine/Tu nous assoiffes de ta peine/L’Allemand te cache et te boit,/Il veut t’anéantir en soi,/Vois comme il souffle ta chandelle/Pour te cacher ses mains cruelles. » 21 Aron R., Mémoires, Paris, Julliard, 1983, p. 141. Sur son évolution quant à l’antisémitisme, les opinions sont encore parfois controversées, notons que La France libre, dirigée par Raymond Aron, publia des textes de Georges Bernanos et que R. Aron, sous le pseudonyme de René Avord, donna un texte en mai 1943 intitulé Pensée française en exil. I Le message de Bernanos » dans La France libre, t. VI, n° 31, p. 22-28, repris dans Les Cahiers Bernanos, n° 6, janvier 1996, p. 59-68. Le journaliste et directeur du Monde des Livres Jean Birnbaum, dans le Monde, en décembre 2012, écrivait quant à lui Révolté par les crimes nazis, cet antisémite de culture rendra hommage à l’héroïsme des combattants du ghetto de Varsovie. » 22 Bothorel J., Georges Bernanos, le mal-pensant, Paris, Grasset, 1998, p. 319. 23 Bernanos G., Essais et écrits de combat, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade », 1971, introduction de Michel Estève, p. 30. 24 Lorsqu’il entendit l’Appel du général de Gaulle à la radio brésilienne, Georges Bernanos fut extrêmement ému. Sa femme pleurait. C’est la seule fois où je l’ai vu aussi ému et bouleversé. Aussitôt, il a cherché un moyen de parler à la radio, de faire savoir sa position, d’écrire dans la presse », Bernanos Témoignage », Espoir, n° 113, décembre 1997, p. 47-53. 25 Bernanos G., Lettre aux Anglais, Rio de Janeiro, L’Arbre, Atlantica editora, 1942, p. 112. 26 Bothorel J., Georges Bernanos, le mal-pensant, op. cit., p. 32-33. 27 Arch. MAE, Londres, dossier Bernanos. 28 Voir la lettre de Georges Bernanos à Virgilio de Mello-Franco. Le général de Gaulle m’a câblé […] pour me demander de collaborer à un journal intitulé La Marseillaise », Bernanos G., Le Combat pour la liberté, Correspondance inédite, t. II, Paris, Plon, 1971, p. 459-460. Il y donna un article tous les mois à partir du 14 juin 1942 et ce jusqu’en décembre 1944. La Marseillaise, hebdomadaire de la France Libre, fut publié à partir de juin 1942 à Londres. Il était dirigé par François Quilici. 29 J’ai aimé le Brésil pour bien des raisons, mais d’abord et avant tout parce que j’étais né pour l’aimer. » 30 Carelli M., La rencontre de deux monde Caillois et Bernanos », Cahiers Georges Bernanos, n° 2, janvier 1992. 31 Soupault Ph., Profils perdus, Paris, Mercure de France, 1963, p. 77-78. 32 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Alger, Argentine 18GMII/1094, 18GMII/1292 et 18GMII/1294. 33 Carelli M., La rencontre de deux monde Caillois et Bernanos », art. cité. Plusieurs lettres de Roger Caillois à Georges Bernanos y figurent. Dans celle du 6 juin 1942, Roger Caillois dit à Georges Bernanos Je n’ai rien trouvé, cependant, de plus vrai, de plus juste que votre ouvrage » il s’agit de Lettre aux Anglais. Sur ce sujet, voir Gosselin-Noat M. éd., Bernanos et le Brésil, Lille, Roman 20-50, 2007, notamment Jurt J., Bernanos au Brésil et la France libre », p. 11-28. On mentionnera aussi les ouvrages de Sébastien Lapaque. 34 Felgine O., Roger Caillois, op. cit. 35 Il devait impérativement se marier, du fait des contraintes sociales de l’époque concernant les naissances hors mariage, auxquelles il avait été lui-même exposé du fait de la naissance illégitime de son propre père. 36 Le 3 septembre 1939, il comptait reprendre son poste au lycée de Beauvais mais ne savait pas s’il allait être mobilisé en Argentine. On ne fera pas partir les Français avant la destruction totale des sous-marins » écrivait-il à Yvette Billod collection Catherine Rizea-Caillois, inédit. En octobre 1939, selon la même source, le trafic des bateaux était dangereux et l’ambassade semblait vouloir qu’il demeure en Argentine. 37 Lettre à Yvette Billod, 13 octobre 1939 collection Catherine Rizea-Caillois, inédit. 38 Lettre à Yvette Billod, 21 octobre 1939 collection Catherine Rizea-Caillois, inédit. À rapprocher de la lettre de Roger Caillois à Jean Paulhan, 11 novembre 1939, dans Felgine O., Perez éd., Correspondance Jean Paulhan-Roger Caillois, 1934-1967, Paris, Gallimard, coll. Cahiers Jean Paulhan », t. VI, 1991, p. 122-123. 39 Ibid., p. 124-125. 40 Lettre à Yvette Billod collection Catherine Rizea-Caillois. À la mi-décembre, il expliquait qu’il avait été mis par erreur dans un régiment d’instruction à Angoulême ». Comme il ne s’était pas présenté, il fut considéré comme déserteur. Le 5 janvier 1940, il révélait qu’il devait rentrer en France pour rejoindre Angoulême le consul a reçu sur moi un ordre de route » et devait partir le 29. Il exprimait son peu de goût pour cela, du fait des ennuis militaires qui l’attendaient. Le 10 janvier, après avoir confié à l’ambassadeur Peyrouton qu’il préférerait rester, il se disait prêt à partir. Mais il avouait que s’il quittait l’Argentine, l’animeraient le regret de n’avoir pas épuisé l’Amérique, la peur de n’être là-bas libre ni matériellement ni intellectuellement [et un] sentiment plus difficile à définir, un peu celui qui dans La Montagne magique fait que les gens se trouvent bien au sanatorium et ne comprennent plus le pays plat ». 41 Lettre à Yvette Billod collection Catherine Rizea-Caillois, inédit. À partir de juillet 1940, il attendit la venue de sa future femme en Argentine. Il fut souvent sans nouvelles d’elle ni de ses parents. Il restait à l’ambassade exclusivement » pour qu’elle vienne plus facilement sans quoi je me serai déjà mis plus que par un coup de téléphone à la disposition des Anglais ». Il envisageait cependant encore de rentrer pour se marier mais, disait-il, s’il s’installe un régime philippéen, je ne m’en sens pas le courage et le goût ». 42 Felgine O., Roger Caillois, op. cit. 43 Médiathèque Valery Larbaud MVL, fonds Caillois, lettre d’Étiemble à Roger Caillois. 44 MVL, fonds Caillois, lettres de Raymond Aron à Roger Caillois. 45 Felgine O., Roger Caillois, op. cit. 46 Arch. MAE, Guerre 1939-1945, Alger CFLN, Argentine, 1292, rapport d’Henri Seyrig. 47 Ibid. 48 Paseyro R., Jules Supervielle, le forçat volontaire, op. cit., p. 193. 49 Soupault Ph., Profils perdus, op. cit. ; Mousli B., Philippe Soupault, Paris, Flammarion, 2010, p. 371. 50 Loyer E., Paris à New York. Intellectuels et artistes français en exil 1940-1947, Paris, Grasset, 2005, p. 99. 51 MVL, fonds Caillois, lettres de Claude Lévi-Strauss à Roger Caillois. 52 MVL, fonds Caillois, lettre d’Henri Seyrig à Roger Caillois, 17 août 1943 Je me suis remué de toutes parts, j’ai causé avec les gens de l’Ecole Libre, avec Ascoli, avec Peyre. De tout cela, rien n’est sorti. » 53 Rolland D., Vichy et la France libre au Mexique guerre, cultures et propagande pendant la Seconde Guerre Mondiale, Paris, L’Harmattan, 1999. 54 MVL, fonds Caillois, lettre d’Agustin Ruano Fournier à Roger Caillois, 7 octobre 1940 Je préfère que ce soit une conférence sur la position de la jeunesse en face du totalitarisme ou son rôle à l’heure actuelle » inédit. 55 MVL, fonds Caillois, lettre de Sara Rey-Alvarez à Roger Caillois, 7 novembre 1940. Ce professeur de philosophie lui écrit notamment Je garderai surtout un impérissable souvenir de celle que vous avez prononcée sous les auspices du Comité pro-Francia Libre, car elle a eu le pouvoir de raffermir en moi-même l’espoir dans le relèvement de la France éternelle sans laquelle notre monde occidental sombrerait bientôt dans l’inanition et les ténèbres spirituelles » inédit. 56 Provocateur, Roger Caillois affirma dans les entretiens de 1971 n’avoir jamais parlé espagnol à Buenos Aires. Voir Felgine O., Roger Caillois, op. cit., p. 211. En fait, sa fille Catherine se souvient qu’il parlait couramment espagnol mais avec un mauvais accent novembre 2012. Il écrivait à Yvette Billod, le 3 avril 1940 Pour l’espagnol, je suis aussi ignorant que vous de la grammaire, mais j’arrive à parler à force d’entendre parler. Au bout de quelques mois, cela va assez bien. Mais naturellement, j’aurais été beaucoup plus vite si je m’étais mis en même temps à apprendre la grammaire. Mais elle est tellement semblable à la grammaire latine qu’on a l’impression qu’on le sait, surtout pour les conjugaisons » collection Catherine Rizea-Caillois, inédit. Jules Supervielle, qui se voulait avant tout poète français, craignait, lui, selon son gendre, que l’usage quotidien [de la langue espagnole ne] gâte son français » Paseyro R., Jules Supervielle, le forçat volontaire, op. cit., p. 186 et confiait J’ai toujours délibérément fermé à l’espagnol mes portes secrètes, celles qui s’ouvrent sur la pensée, l’expression et, disons, l’âme. Si jamais il m’arrive de penser en espagnol, ce n’est que par courtes bouffées. » 57 Saint-John Perse, Correspondance avec Roger Caillois 1942-1975, textes réunis et présentés par Joëlle Gardes Tamine, Paris, Gallimard, 1996, p. 62. 58 Sapiro G., La guerre des écrivains, Paris, Fayard, 1999, p. 640. 59 D’où de sévères et peut-être jubilatoires réactions, notamment aux États-Unis, comme celle de William Phillips, citée par Loyer E., Paris à New York, op. cit., p. 366, à propos de Simone de Beauvoir, de passage dans le pays À certains égards, son ignorance de la littérature américaine reflétait le provincialisme et le chauvinisme des Français qui regardaient le reste du monde comme une colonie intellectuelle de la France. » Révolution et République semblent former l'un de ces vieux couples que l'on aime à classer parmi les fameuses exceptions françaises. Faut-il considérer à présent que cet itinéraire commun est entré, au gré d'un bicentenaire éludé et des bouleversements de l'ordre du monde, dans les limbes d'un passé révolu ? Révolutionnaires et République, depuis 1789 jusqu’à nos jours voilà un thème qui pourrait paraître rebattu, et en tout cas qui ne m’est pas indifférent, tel que je l’ai abordé dans La passion de la République 1992 puis dans 1789, l’héritage et la mémoire 2007. Qu’est-ce qui est passé de mode, la République ou les Révolutions, jusqu’à leur nouvelle explosion controversée depuis 2011 ? Les deux dira-t-on. La Révolution est ou était terminée et François Furet avait gagné, les républiques faisaient piètre France, c’était comme la fin d’un vieux couple, d’un de ces mariages mal assortis quoiqu’assez durables bien que fondés sur un malentendu. Maurice Agulhon, sans méchanceté mais avec l’humour discret qui le caractérise, l’avait illustré par la citation d’une bavure » municipale à Andernos en Gironde célébrant sur son monument la République née le 21 septembre 1789 » [au lieu du 21 septembre 1792, ndlr.] ! Quelle erreur inexcusable pour des contemporains de Jules Ferry que ce court-circuit chronologique… mais combien révélatrice d’une culture politique de la Troisième République, qui associait jusqu’à les confondre les deux notions Révolution et d’abord le temps de la Révolution de 1789-93, nous savons bien que cette symbiose n’allait pas de soi. En 1789, l’idée même de République n’était pas à l’ordre du jour. Jean-Paul Marat, le seul ou presque qui dans Les chaînes de l’esclavage en ait appelé dès les années 1770 aux feux de la sédition » et à la subversion violente ne présentait pas la République comme une panacée. D’autres non plus même s’ils ont laissé échapper le mot de Révolution, comme Jean-Jacques Rousseau Nous vivons le temps des Révolutions ». Car pour les observateurs ou les penseurs des Lumières finissantes, les républiques contemporaines c’était Venise, vieille oligarchie décrépite, les Pays-Bas ou les Cantons suisses, au pouvoir contesté d’élites fermées. Certes, à ce tableau dissuasif y avait-il deux échappées qui redonnaient au mot de République valeur d’idéal ou d’espoir une dans le passé, l’autre dans un présent encore incertain. Dans le passé, c’était la République romaine, cette référence antique dont tous ou presque sont alors imprégnés, référence morale et politique à des valeurs plus encore qu’à des institutions anciennes. Dans le présent un présent que maniant volontairement l’anachronisme je me risquerai à comparer au regard interrogatif que nous portons aujourd'hui sur les Révolutions arabes se déroulaient les épisodes que nous nous sommes accoutumés à désigner comme les Révolutions atlantiques. Soit bien sûr, au premier rang, la guerre d’indépendance des treize colonies américaines, qui devait donner naissance à la République des États-Unis, dont il n’est pas question de sous-estimer l’ Révolution épouse la RépubliqueLe thème de l’entrée en République étant réservé à une autre contribution, je me contenterai donc de quelques rappels, sur la période qui va de la fin de l’Ancien Régime à 1791. Condorcet écrit qu’ une constitution républicaine est la meilleure de toutes », et Brissot s’est référé à l’exemple américain dès 1787 mais pour conclure Je ne crois pas les Français encore dignes d’un tel régime ». Pour Marat, un roi soliveau reste encore un moindre mal. Ce sont des isolés comme Lavicomterie qui proclame Je suis républicain et j’écris contre les rois » Du peuple et des rois. Et l’on m’a fait découvrir récemment, en me demandant de préfacer l’édition de son journal, l’utopie singulière d’Anacharsis Cloots, rêve de la République universelle – jusqu’à l’Oural du moins, avec Paris comme est incontestable que dans cette montée de l’idée républicaine, c’est la tentative et l’échec de la fuite du roi à Varennes en juin 1791 qui a fait office de catalyseur. Même si tout un courant de révision critique du déroulement de la Révolution, sous la conduite de François Furet, a voulu un temps s’interroger sur les chances potentielles d’une monarchie constitutionnelle à l’anglaise dans la France de la fin du siècle, c’est le monarque lui-même, mais aussi cette autre France de la Contre-révolution qui est son appui, qui a scié la branche qui le le caractère initial d’une revendication en creux » de la République qui passe par celle de la déchéance royale, même si, de Montpellier vient l’appel Faites de la France une République, ouvrez les fastes du monde et vous n’y trouverez rien de pareil… ». Mais Paris n’est pas en reste même si la campagne menée par les Cordeliers n’est suivie qu’avec réticence par les Jacobins, notamment par leur leader écouté Robespierre On m’a accusé d’être républicain on m’a fait trop d’honneur, je ne le suis pas. ». Pusillanimité dont les détracteurs de l’Incorruptible se régalent, mais qui peut s’éclairer à la lumière des arrière-pensées ambiguës de ceux qui animent le moment républicain » du printemps 1791 ainsi Condorcet qui assure que s’il se fait une République par Révolution, si le peuple se soulève contre la cour les suites en seront terribles… ». Pour lui l’occasion est à saisir d’une transition sans violence, et c’est cet esprit qui explique l’engagement de futurs Girondins » dans cette campagne, en conjonction momentanée avec l’avant-garde des Cordeliers [extrême-gauche extraparlementaire].L’épreuve de force a été le massacre du Champ de Mars, le 17 juillet 1791, où les représentants des forces conservatrices – Lafayette et Bailly symboliquement associés – ont noyé dans le sang cette tentative républicaine prématurée. Par-delà le silence apparent de la séquence d’une année, de juillet 1791 au printemps 1792, où les difficultés de l’Assemblée législative illustrent l’ultime fiasco de la monarchie constitutionnelle, sur fond d’une entrée en guerre qui attise les passions, cependant que se creuse le fossé entre la montée du mouvement populaire hostile à la royauté et la politique incertaine puis la compromission de l’élite modérée des brissotins, ou rolandins [bientôt Girondins »] avec le souverain qu’ils protègent encore. Au 10 août 1792, c’est du peuple en armes et non de l’Assemblée qu’est venue la décision, la mise à bas de la monarchie et l’appel à une pourrait continuer à discuter sur le caractère apparemment furtif de l’entrée officielle en République, un mot que la classe politique hésite à prononcer, et que Billaud Varenne introduit le 22 septembre en même temps que la symbolique qui fait de la République une femme appuyée d’une main sur un faisceau et tenant de l’autre une lance surmontée du bonnet de la liberté », je préfère pour clore le débat m’abriter sous l’égide de Jaurès, porte-voix le plus éloquent, Et voici que la République était devant eux, soudain réelle, immense, portant en elle toute la force rude du peuple enfin éveillé ».L’union République-Révolution est-elle indissolublement assurée en septembre 1792, confortée par la victoire de Valmy qui, en ces jours, lui confère l’appoint de la mobilisation patriotique ? Pour certains cela va de soi et j’aime à citer ce clubiste de Lorient, Charles Le Poitevin qui écrit le 22 frimaire an II Il est donc vrai de dire que la République est le véritable état de l’homme puisqu’il est né pour vivre en société et que la République le conserve dans son état primitif et naturel, je veux dire celui de la liberté, de l’égalité et de la quoi Saint-Just objecte brutalement mais lucidement \ J’entends dire à beaucoup de gens qu’ils ont fait la Révolution. Ils se trompent, elle est l’ouvrage du peuple. Mais savez-vous ce qu’il faut dire aujourd'hui et qui n’appartient qu’au législateur lui-même ? C’est la République… ».Impératif que l’Assemblée s’efforcera de combler, sur fond de guerre extérieure et intérieure et d’un conflit politique exacerbé entre Girondins et Montagnards, bientôt perdu par les premiers pour avoir été incapables d’assumer la maîtrise d’un conflit qu’ils avaient contribué à faire naître. La Constitution de 1793, ratifiée par le vote populaire du mois d’août, monument fondateur des institutions de la République naissante, on le sait, ne sera jamais appliquée. Les circonstances ont imposé momentanément une autre démarche, pour la défense du Salut public. Doit-on y voir une macule originelle illustrant l’impossible rencontre, en révolution, du régime républicain et de l’exercice des libertés démocratiques dont rêvent encore les Indulgents comme Camille Desmoulins… ? Mais il sait bien lui-même que ce rêve de Révolution victorieuse et paisible » n’est pas de saison et c’est lui qui écrit en pluviôse an II dans le Vieux Cordelier cette strophe sublime qui fait songer à Goethe mis en musique par Schubert La devise des Républiques ce sont les vents qui soufflent sur les flots de la mer, dans cette légende Tollunt sed attollunt ils les agitent mais ils les élèvent. Autrement je ne vois dans la République que le calme plat du despotisme et la surface unie des eaux croupissantes d’un marais. ».Je voudrais arrêter là ma réflexion sur la façon dont, dans la décennie 1789-99 la République s’est ancrée » dans la Révolution, pour ce compagnonnage biséculaire dont nous avons hérité. Mais je sais bien que je ne suis pas quitte. Je me heurte à deux obstacles majeurs avant de reprendre la route. La Révolution en l’an II, est-ce bien la République? La République en l’an III est-ce encore la Révolution ?La Révolution de l’an II ? celle du Comité de Salut public, de Robespierre et ses amis, de la Terreur, de la Sans culotterie au pouvoir puis tenue en main voire réprimée, n’est pas un héritage facile à porter pour un républicain modéré, pour une bourgeoisie du XIXe siècle, voire du XXe intronisée par la Révolution française mais tentée de répudier ses origines et de distinguer une bonne Révolution des débuts et la mauvaise, celle du dérapage » et de l’intrusion momentanée des classes populaires avec ses leaders collectifs jacobins ou cordeliers ou individuels, agents de la dérive totalitaire » qui ferait de la Révolution française la matrice des expériences funestes du XXe second obstacle, résumé sous le titre la République de l’an III est-ce encore la Révolution ? » est présenté par les défenseurs au contraire d’une certaine image de la Révolution. J’en prendrai pour illustration la passe d’armes entre Alphonse Aulard [historien de la Révolution française, 1849-1928 et son irascible élève Albert Mathiez historien et fondateur de la Société des études robespierristes 1874-1932] un instituteur avait écrit au grand maître de la Sorbonne [Aulard] pour lui dire la difficulté de présenter à ses élèves la République du Directoire, concentré de toutes les turpitudes du temps présent, soit les communistes, les royalistes, le militarisme et la corruption ». Aulard l’avait rassuré dans sa chronique journalistique ne croyez pas la légende brumairienne qui a diabolisé le directoire, il représente bien à sa façon la République… À quoi son élève Mathiez répondit par un article vengeur Nous ne sommes pas obligés de travestir la vérité en présentant comme une République véritable le régime de Barras, de Reubell, de Hainguerlot d’Ouvrard, le régime de la Banqueroute des deux tiers, du coup d’état annuel et des guerres de pillage perpétuel… Le Quotidien prête à rire quand il insère des consultations historiques de ce calibre. » Nous serons aujourd'hui plus proches de la lecture d’Aulard que de Mathiez ; mais cette référence à un débat historiographique d’hier rappelle que la Révolution nous a légué plusieurs modèles de République. Pas question de nier les fautes ou les tares du Directoire, mais pour les pères de la Constitution de l’an III, l’objectif est bien de défendre une certaine idée de la République Soyez tous réunis pour la République, soyez tous réunis contre l’anarchie » Boissy-d’Anglas, 1795. C’est la République de la bourgeoisie qui aspire à terminer sa Révolution, fût-ce en lui donnant un maître Il me faut un roi parce que je suis propriétaire. »Mais où, désormais, sont passés les révolutionnaires ? On les désigne comme anarchistes », un amalgame où se retrouvent ceux qui se présentent comme fermes républicains » et que nous appelons néo jacobins, malmenés par le pouvoir qui sait parfois recourir à leurs services pour contenir la pression de la Contre-révolution royaliste. Les masses populaires ont été renvoyées en l’an III dans leurs faubourgs, les conspirateurs clandestins de la conjuration des Égaux se rallient à la République. Babeuf au début indifférent et même hostile à cette forme de gouvernement à laquelle il préfère le terme d’association en attendant le Grand Sabbat se rallie dans ses derniers écrits à une République absolument démocratique ».De quelle République sommes-nous les héritiers ? Celle de Brissot, de Condorcet, de Saint-Just, ou celle de Sieyès, de Boissy d’Anglas, de Barras… ? Albert Soboul [historien de la Révolution française 1914-1982, ndlr.] n’est pas tendre pour une première République tiraillée entre ses contradictions, l’idéal d’une République démocratique et sociale d’un côté et celui d’une République des propriétaires de l’autre. Mais assumant ses propres contradictions, il s’incline devant le mythe de l’indivisible » et l’image toujours exaltante de la vraie » République, celle de l’an elle que nous allons retrouver comme un idéal perdu, appauvri souvent à des thèmes comme celui du bonheur commun, ou de la Constitution de 1793 et son projet démocratique, dans la clandestinité de la période impériale et de ses lendemains. Qui sont désormais les révolutionnaires ? Ils sont passés dans la clandestinité, comme ils ont essaimé dans l’Europe des Républiques sœurs, notamment en Italie, ou comme Miranda dans les foyers qui s’allument en Amérique latine. On les retrouve dans les sociétés secrètes, fomentant des conspirations. Buonarotti dans ses errances à travers l’Europe est l’exemple type du porteur d’un message qu’il transmettra en 1828 à son retour à Paris en sortant de l’oubli le récit de la conspiration de Babeuf, dite des Égaux. Entre-temps, toute une partie de la classe politique ralliée en Brumaire, recyclée dans l’appareil d’État napoléonien, avait fait son deuil de l’idéal républicain, certains avec la bonne conscience de servir sous d’autres formes et un autre maître l’idéal de leur jeunesse, d’autres avec un cynisme plus marqué, dont Fouché est une incarnation traversée du désert de l’idée républicaine prend fin, spectaculairement, dans l’année 1830 quand sur les barricades on voit réapparaître le drapeau tricolore, porté par la Liberté au sein nu, guidant une foule juvénile qui redécouvre la Révolution. Tout cela nous le savons, mais aussi le retour à l’ordre marqué par l’escamotage historique opéré sur le balcon de l’Hôtel de Ville de Paris par un vieux cheval de retour, aujourd'hui admiré encore de beaucoup, qui s’appelle Lafayette et qui, sous les plis trompeurs du drapeau tricolore, contribue à instaurer sur le trône, avec Louis Philippe, la meilleure des républiques » [la Monarchie de Juillet 1830-1848]…Le temps de vicissitudes ? Mémoires révolutionnaires, clandestinités et nouvelles expériences républicaines 1799-1871Notre démarche dès lors soit s’infléchir pour répondre à la question posée qui sont les révolutionnaires et surtout que font-ils de la mémoire de la première République, souvenir encore proche mais entré dans l’histoire ? Quels exemples y puisent-ils, quelles critiques voire quelles rancunes nourrissent-ils envers elle ? Dans les années 1840, elle est mieux connue, son histoire labourée par les maîtres de l’historiographie romantique, Thiers, Mignet, Lamartine, Michelet avant tout, mais aussi par toute une petite littérature qui réveille la mémoire encore vive dans Paris et dans les villes comme dans les campagnes qui n’ont pas toutes oublié que la Révolution fut aussi vécue comme une fête. Ceci dit, il faut en convenir avec Raymond Huard, il n’y a encore au village que bien peu de républicains avérés, de ceux qui comme la vieille Riquelle, autrefois déesse Raison en son village de Maillane attendent le retour du temps des pommes rouges ». C’est à Paris et dans les villes comme Lyon éveillé, brassé, que se fomentent les complots, que ressurgissent les barricades en 1841, 44 et plus tard encore. Les révolutionnaires engagés ou non dans les organisations clandestines comme Aide-toi le ciel t’aidera », puis les Saisons, qui forment le noyau du néo jacobinisme ont d’autres sollicitations que celles qu’ils puisent dans la légende républicaine de l’an II dans une société en mutation, ils sont ouverts aux voies ouvertes par les penseurs socialistes, saint-simoniens, fouriéristes, communistes », à la Cabet, point toujours révolutionnaires, mais déjà s’esquisse au temps où la question sociale s’impose de plus en plus, une autre forme d’engagement dans ces sociétés pour lesquelles Marx et Engels préparent un manifeste qui fera date [Le manifeste du Parti communiste 1848].Dans cette histoire, 1848 assume en France une place considérable et singulière. S’il n’y a jamais eu peut-être autant de têtes couronnées new-look que dans cette Europe du mitan du XIXe siècle, l’originalité, qui permet en l’occurrence d’utiliser à bon escient le terme rebattu d’ exception française » est bien celle de cette seconde République que la Révolution de Février installe comme une revanche ou un retour à l’héritage de la première, la grande. Quatre ans seulement de vie avant sa mise à mort, est-ce suffisant pour partager le regard dépréciatif de plus d’un, à droite certes mais aussi à gauche sur cette réédition manquée Marx n’est pas le moins cruel, témoin impitoyable, qui nous a laissé, avec son analyse à vif des luttes de classes, puis du coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte, la célèbre formule qui se réfère aux révolutionnaires de 93 drapant leur révolution en oripeaux de Romains » pour dénoncer, dans une histoire qui bégaie, les quarante-huitards qui se déguisent en héros de la Grande Révolution ? Il importe de rappeler l’importance de cette expérience dans la culture républicaine le choc du suffrage universel masculin pour la première fois massivement exercé, le constat amer pour les révolutionnaires que la France des campagnes dans la majorité des régions vote conservateur et pour l’ordre…, l’âpreté des luttes de classes qui dès le mois de juin 1848 affrontent à Paris les travailleurs à la bourgeoisie, l’émergence de la question sociale comme on dit, la difficulté enfin d’organiser la République, autour d’une constitution qui pour éviter les erreurs de l’an III et le césarisme de l’an VIII va révéler sa faiblesse face au retour du péril. On appréciera pourtant l’importance du pas franchi un véritable parti républicain voit le jour les démoc-soc, tandis qu’un réseau d’organisations républicaines, officielles ou clandestines, se structure dans toute une partie du pays, notamment dans le Sud-Ouest, ce qui explique que le coup d’État anti-républicain du prince-président, le 2 décembre 1851, se soit heurté à une résistance populaire localement massive, nécessitant le recours à l’armée pour opérer la répression sanglante et les déportations. On comprend que dans les lendemains amers du coup d’État, au-delà des invectives nobles de Victor Hugo, dans la clandestinité puis la semi-tolérance des années du règne de Napoléon III, les républicains d’hier aient adopté une ligne de légalisme qui n’est contestée que par quelques-uns qui comme Blanqui, l’enfermé », restent fidèles à la solution insurrectionnelle et cette période de l’Empire, ce n’est point un paradoxe, se présente comme celle d’un réexamen à la lumière de l’expérience de l’héritage de la Grande Révolution française. Les recherches se multiplient. Surtout, Edgard Quinet, en 1865, sème le trouble dans le camp républicain, en redistribuant les cartes, opposant à la continuité d’un héritage qui conduit à l’absolutisme monarchique, à l’oppression religieuse, au jacobinisme, à la Terreur et à la dictature impériale une autre filiation qui mène de la Réforme aux Lumières, aux Girondins, à la liberté de pensée. Monarchistes, bonapartistes, robes­pierristes et radicaux en prennent pour leur grade, à droite et à gauche. Mais un républicanisme libéral y trouvera son compte par la événements de l’année terrible », bouleversent ce paysage, avec l’explosion de la Commune de Paris, le 18 mars 1871 et sa brève existence de trois mois, suivie d’une répression terrible. On rencontre parmi les cadres de ces dernières grandes journées révolutionnaires parisiennes des néo-jacobins, des blanquistes imprégnés du souvenir de la Grande Révolution, des membres de la Seconde Internationale, des anarchistes enfin, comme Courbet, qui rejettent le pesant héritage jacobin. Au lendemain de la Commune de 1871, après le massacre et la répression massive qui en viennent à bout, les révolutionnaires » sur lesquels on nous presse de nous interroger vont se reprendre, en se tournant vers les organisations socialistes où l’influence de Marx s’impose désormais, en Angleterre, en Allemagne surtout, mais aussi en France, quoique sur fond d’un héritage plus complexe. Au fil de leur cheminement propre et sur fond d’un appel à la transformation révolutionnaire de la société, un courant blanquiste, puis guesdite radical s’oppose à une tendance plus ouverte aux compromis réformistes et aux contacts avec le républicanisme reconstitué qu’incarne le parti radical, puis radical-socialiste. Les fondements de ce dernier ont été posés par Gambetta, les leaders en seront Jules Ferry ou Jules Grevy ce sont eux qui vont, à partir de 1875, imposer progressivement leur hégémonie dans la conduite de la Troisième et République 1871-1934 De l’idée républicaine au socialisme l’itinéraire est loin d’être linéaire et le passage n’a rien d’automatique » R. Huard. Les socialistes assurément républicains n’attachent pas à la forme du régime en elle-même une vertu émancipatrice ». Sous l’emprise du capitalisme la République est aussi oppressive que la monarchie et le suffrage universel, comme le rappelle l’élection de Louis-Napoléon en décembre 1848, peut être une mystification. La tentation est grande de récuser les modèles transmis par la Révolution bourgeoise » de 1789. Contre cette lecture qui est celle de Guesde et de son courant qui ne se penchent pas moins cependant sur l’histoire révolutionnaire, Jaurès dont l’ascendant s’affirme dans le parti en cours de formation a défini dans son Histoire Socialiste de la Révolution Française l’attitude d’équilibre à laquelle s’efforcent de parvenir les socialistes français Politique de démocratie et politique de classe, voilà deux termes nullement contradictoires entre lesquels se meut la force prolétarienne et que l’histoire confondra un jour dans l’unité de la démocratie sociale ». La Révolution finale est et restera longuement l’objectif, quitte à se muer chez Jaurès en aboutissement de réformes… révolutionnaires. C’est ainsi que les socialistes français toléreront en 1899 l’entrée de Millerand dans le ministère de défense républicaine de Waldeck Rousseau et soutiendront le bloc des gauches de défense républicaine entre 1899 et 1904. Compromission payante, si l’on considère qu’ils y ont gagné à la cause de la République sociale une partie de l’électorat populaire, aux dépens des radicaux, et assuré à la veille de la guerre une représentation de 107 élus à la chambre. Peut-on alors aller jusqu’à parler d’une intégration des socialistes à la République bourgeoise », fût-elle incomplète – R. Huard du fait d’une culture politique en partie commune » et d’une frontière assez floue pour permettre des recouvrements et des contagions, sur le plan des pratiques démocratiques de terrain ?Au lendemain de la Première Guerre mondiale, au sein d’une gauche où nombre de meurtris hésitent, tentés par l’idéalisme wilsonien, les vrais révolutionnaires que nous suivons ont trouvé leur repère, la révolution bolchevique qui va bouleverser la référence républicaine pour tout le siècle » R. Martelli. La réflexion des militants et des penseurs qui vont au Congrès de Tours rejoindre le parti communiste procède de la relecture qu’impose l’expérience soviétique de la voie plébéienne » promue naguère par Blanqui et ses émules, abandonnée par la Seconde Internationale, une sorte de néojacobinisme trouve dans le bolchevisme un exemple à suivre, dans la république des soviets la mise en œuvre de mesures terroristes, légitimés par la situation. Le jeu des analogies, chez les historiens français Mathiez, Labrousse et même initialement Aulard se plaît à reconnaître les étapes connues d’un nouveau 93 Jean Bruhat [historien du mouvement ouvrier. 1905-1983] écrira plus tard que par-dessus les carmagnoles des sans-culottes apparaissaient en surimpression les blousons de cuir des combattants du palais d’hiver… ». Aulard lui-même un bref temps admet la nécessité d’une dictature, d’une centralisation jacobine, alors que d’autres espèrent la mise en place d’une démocratie directe, comme en malgré de fortes réticences, la révolution russe est associée dans la conscience commune au marxisme, dont elle semble être, dans la personnalité de ses leaders comme Lénine, une mise en application. Une grande lueur à l’Est » serait-ce le relais de ce qu’ont pu être les Lumières aux origines de la Révolution française, que le marxisme-léninisme, guide de la révolution des masses ?À côté du PCF, guidé par l’exemple soviétique, on ne saurait oublier les révolutionnaires d’hier les socialistes demeurés à la SFIO après 1920, qui conservent dans l’énoncé de leur programme l’objectif officiel de la conquête révolutionnaire du pouvoir ou de son exercice » en position de force. Un héritage jaurésien, qui se combine avec les réflexes de la concentration PCF un engagement patriotique au service de la République, du Front Populaire à nos joursL’offensive contre la République qui s’est déployée à partir des années 1920 et surtout 1930 est la conjonction de plusieurs facteurs bien connus les retombées directes de la Première Guerre mondiale sur la foule des désemparés, des anciens combattants aigris, leur instrumentalisation par les réseaux de l’ancienne droite cléricale régénérée, le spectacle de l’immobilisme et de la corruption qui alimente l’antiparlementarisme, la crise enfin qui, à partir de la fin des années 1920 affecte les masses populaires. Les ligues et les mouvements d’extrême droite coordonnent ces remous. Elles ne sont pas sans modèles à l’étranger, avec l’implantation du régime fasciste dans l’Italie mussolinienne, puis en Allemagne l’irrésistible ascension d’Hitler et du nazisme dans les années 1930. C’est face à la montée de ces périls, au lendemain du 6 février 1934, jour où le parlement assiégé a vu se briser à ses portes l’offensive de la subversion menaçante des ennemis de la République que s’est opéré un des tournants majeurs dans l’histoire contemporaine de la République française. L’initiative en est venue du parti communiste ce qui peut surprendre en ces années 1930 où il peine sous la pression des directives de l’Internationale communiste qui impose la ligne classe contre classe Il n’y a pas de différence entre la démocratie bourgeoise et le fascisme. Ce sont deux formes de la dictature du capital. Entre la peste et le choléra on ne choisit pas » a déclaré Maurice Thorez après le 6 février. Et cependant c’est lui qui a eu le mérite, face à l’urgence, de faire adopter par son parti la ligne unitaire qui aboutit au pacte d’unité d’action socialiste-communiste le 27 juillet 1934, suivi du mot d’ordre du Front populaire en octobre. Malgré les réticences de certains radicaux, la dynamique est enclenchée qui conduit aux impressionnants meetings unitaires, Blum, Thorez et Daladier en juin 1935 à la Mutualité, ou lors du défilé du 14 juillet de la Marseillaise et de l’Internationale, du drapeau rouge et du tricolore on a beaucoup commenté cette prise de position historique, notant que dans le discours communiste d’avant-guerre c’est la référence à la nation qui l’emporte sur la République. Un patriotisme républicain ouvrier s’inscrit dans la configuration élargie d’un rassemblement populaire réunissant autour des trois partis une vaste constellation associative. Elle ne résistera pas, dans les années suivantes, aux chocs qui ont désuni le front des républicains fissure face à la guerre d’Espagne, traumatisme entraîné par le pacte germano-soviétique en 1939 et la marginalisation puis l’exclusion du parti communiste, alors même que ses partenaires d’hier manifestent dans la commémoration pour bonne part manquée du cent cinquantenaire de la Révolution, leur horreur de la guerre civile et des manifestations à poings levés et drapeaux rouges ». Socialistes et radicaux abandonnent au parti communiste le souvenir de Valmy, des volontaires de 1792, la défense de la République et surtout de la du régime de Vichy le 10 juillet 1940, sous la conduite du maréchal Pétain a ouvert la première et à ce jour unique suspension du régime républicain en France pour quatre ans. L’expérience tragique de la Résistance a démontré l’efficacité du modèle d’un engagement patriotique au service de la nation et de la République, dans laquelle les communistes ont pris une part importante aux côtés des autres patriotes, autour d’une mystique de la Révolution dont le souvenir est omniprésent. Le problème des lendemains a été évoqué à la fin de 1943 quand le réseau Combat évoque une Révolution socialiste ». Mais l’indécision subsiste dans le programme du CNR qui se contente d’en appeler au rétablissement de la démocratie par le rétablissement du suffrage Thorez au retour de l’URSS a fait prévaloir une ligne légaliste en écartant l’idée d’un Octobre français ». Ce ne fut pas sans avoir à briser l’opposition d’une partie des cadres de la révolution intérieure comme Charles Tillon ou André Marty qui avaient tenté d’organiser autour des institutions résistantes des foyers de prise de pouvoir parallèle dans le Limousin, ou le Midi. Le légalisme du PCF, à l’origine le plus fort parti issu de la Résistance, malgré l’âpreté de ses combats dans les batailles de l’après-guerre sur les textes constitutionnels comme sur la politique sociale, ne suffit pas à lui éviter une érosion liée à son isolement au temps de la guerre froide comme aux mutations de la société d’après-guerre, alors que les rythmes de la vie politique nationale retrouvaient les tares de l’avant-guerre malgré les tentatives de réforme de la gauche non communiste dont celle de Mendès-France fut la plus poussée dans le sens d’un rationalisme de l’État. Lorsque les chocs répétés des guerres de décolonisation ont conduit en 1958 à la crise qui a entraîné la chute de la quatrième République et le retour au pouvoir du général de Gaulle, la dénonciation de l’évolution vers le présidentialisme a été âprement dénoncée à chaque étape par le parti communiste, alors que la gauche non communiste s’enfonce dans l’acceptation présidentialiste » O. Duhamel sous la Ve République. Au lendemain d’une pseudo-révolution de 1968 qui n’est pas la leur et à laquelle ils adhèrent plus ou moins sans en prendre le contrôle, les révolutionnaires voient la droite s’emparer sans vergogne des sigles républicains. La victoire socialiste de 1981 et l’épisode mitterrandien ont plutôt renforcé que freiné la consolidation d’un pouvoir présidentiel qui, par la suite – qu’on me pardonne le raccourci –, a paradé sans retenue jusqu’au sarkozysme d’ mon essai sur l’héritage et la mémoire, j’avais pu être tenté de ranger la République au rayon de ces héritages banalisés dont Maurice Agulhon a si bien traité, si familiers qu’on ne les remarque plus Liberté – Egalité – Fraternité. La République fait partie de notre univers quotidien, de même que les Anglais ont leur reine, et les Espagnols un roi qui vaut bien la République. S’il n’y a plus guère de groupuscules ouvertement antirépublicains, l’adhésion de façade, à la façon du Front National, masquant in fine une hostilité profonde à l’égard de l’idée républicaine, a fait de dangereux progrès, jouant, comme hier, sur l’hostilité à la classe politique. De même la droitisation » de la référence républicaine, depuis le temps où l’UMP gardait un bonnet phrygien comme logo n’est plus guère de mise, même si tous se décernent volontiers un brevet exclusif de républicains évidemment à gauche que l’on trouvera un argumentaire plus fourni, avec la référence à l’héritage historique de la Grande Révolution et à ses valeurs. Mais, les sondages du bicentenaire l’ont montré, les média le démontrent quotidiennement, en même temps que la mémoire historique se perd à l’école ou ailleurs, la télévision comme les publications se nourrissent de l’évocation complaisante des grandes familles, princières ou non, la mode Marie-Antoinette sous toutes ses postures a relayé les apologies de Danton contre Robespierre. Banalités que tout cela. Mais au fond des choses, si l’on se reporte à la façon même dont le bicentenaire a été conçu et négocié, si je puis dire, entre la droite et la gauche, sur le consensus d’une commémoration limitée à 1989 dans sa durée, focalisée sur les droits de l’homme en évitant les débats et les événements qui fâchent, on prend conscience que la question de la République a été éludée, étant sous-entendu peut-être que François Mitterrand en était le garant. C’est dans les initiatives d’inspiration communiste ou progressiste que l’héritage dépoussiéré à défaut d’être renouvelé s’est le mieux rencontré. Mais Robespierre et ses amis souffrent toujours du même préjugé garde un souvenir personnel très vif de la manière dont le bicentenaire de la République, après que les bougies de 1789 eurent été éteintes, a été ou plutôt n’a pas été célébré, en 1992, en l’absence du président, déjà très malade. Dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, j’étais seul au podium pour accueillir le premier ministre Pierre Bérégovoy à mon entrée un garde avait demandé Qu’est-ce qu’il vient faire celui-là ? » je venais délivrer mon message préparé. Le premier ministre, sombre et préoccupé, m’a demandé alors Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »... On écoute la Marseillaise. Elle fut chantée au fond de l’amphithéâtre par le chœur de l’armée. Sans emphase orchestrale, ces voix masculines avaient une forte gravité. Puis nous nous sommes séparés en silence.*Michel Vovelle est historien. Il est professeur émérite à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Il a dirigé l’Institut d’histoire de la Révolution française de 1981 à Revue du projet, n° 30-31, octobre-novembre 2013 Le Capitaine dînera, lithographie d’après Louis Albert Guislain Bacler d’Albe, 1761-1824, planche 77 du tome 1 Souvenirs pittoresques du général Bacler d’Albe, Paris, Engelmann, 2 vol., 1819-1822, Est C5 © Paris, musée de l’Armée, Dist. RMN-GP / Émilie Cambier Cette estampe montre un soldat tenant un lièvre à la main. Sur la gauche, des soldats se reposent sous un abri tandis qu’à l’arrière-plan, d’autres militaires chassent le lièvre. Cette image illustre un des aspects de la vie des soldats en campagne, celui du bivouac. En campagne, l’approvisionnement en vivres est parfois incertain et, pour améliorer leur quotidien, les soldats pratiquent la maraude dans les villages situés à proximité du campement. En-tête du journal de tranchée Le Lapin à plumes. À la fin de l’année 1914, la guerre de position s’installe et les soldats creusent des tranchées dans lesquelles il vivent et combattent. Pour échapper à leur difficile quotidien, ils rédigent et illustrent des gazettes appelées journaux de tranchées. Le Lapin à plumes constitue le supplément illustré au Canard Poilu, journal du front, hebdomadaire, torsif et antiboche », organe officiel des poilus du 15e corps. 32 numéros sont publiés entre octobre 1914 et mai 1916. Chaque en-tête est due à l’illustrateur Marcel Jeanjean 1893-1973 et montre les combattants, transformés en lapins, occupés à différentes activités combattant dans les tranchées n°1 et 5, en train de cuisiner n°8, à l’assaut n°11, communiquant au téléphone n°19 ou encore à l’infirmerie n°20. Qu’ils soient français ou allemands, tous les soldats prennent la forme d’un lapin, comme le montre le n°17, représentant des lapins prisonniers allemands. D’autres animaux vivants dans des terriers ou creusant la terre, comme la taupe, le blaireau, sont également utilisés pour désigner ou représenter le soldat dans les tranchées. © Paris, musée de l’Armée Martial Peyrichou, Le Kronprinz. Tambour des lapins de la Garde, carte postale, 1914. Le Kronprinz, fils de Guillaume II, est ici caricaturé sous la forme d’un lièvre portant le casque à pointe. La légende, Le Kronprinz, tambour major des Lapins de la Garde fait probablement allusion à sa formation militaire qui, selon la tradition des princes prussiens, débute dans le 1er régiment d’infanterie de la Garde. Pendant la Première Guerre mondiale, le Kronprinz prend le commandement de la Ve armée. Il se distingue surtout par sa frivolité, si bien que la presse britannique le surnomme Clown Prince. La presse satirique française reprend cette image notamment à la une de La Baïonnette du 22 juillet 1915, montrant le Kronprinz chevauchant un lapin blanc nommé Clownprinz. Faut-il voir dans ce dessin une allusion à l’un des traits de caractère du lièvre, naturellement craintif, qui détale au moindre bruit inconnu ? © Paris, musée de l’Armée Le lapin et le lièvre Comment ! des animaux qui tremblent devant moi ! Je suis donc un foudre de guerre ? » Jean de La Fontaine Le lièvre et les Grenouilles Cunicularii Les Romains utilisent l’image du lapin et désignent les sapeurs et mineurs du nom de munitores, fossores, fodientes ou encore cunicularii. Le terme cuniculus, ou lapin, désigne la galerie souterraine creusée par les mineurs pour les approches souterraines lors des sièges. Plus tard, dans ses Chroniques, Jean Froissart relate un épisode de la guerre de Cent Ans une bataille opposant le roi Philippe VI de Valois au roi d’Angleterre Édouard à Buironfosse en 1339. Avant la bataille, il est décidé de nommer de nouveaux chevaliers. Au moment où les deux armées se font face, un lièvre étant venu semer la panique, le combat n’a finalement pas lieu. Les chevaliers consacrés alors ont été surnommés chevaliers du lièvre ». Peau de lapin Les poils de lapins permettent de réaliser des vêtements chauds et imperméables. Ainsi la fourrure de lapin est utilisée pour confectionner des manteaux. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une journaliste du Chicago Tribune, Sigrid Schultz 1893-1980, fait la découverte, dans la villa d’Heinrich Himmler 1900-1945, d’un album de photographies relatives au Projet Angora ». Il s’agit d’un programme initié en 1941 par Himmler, visant à élever des lapins de race angora, prévoyant des soins vétérinaires particuliers et une nourriture contrôlée, pour produire de la laine destinée à la fabrication des uniformes de l’armée – pulls, chaussettes, caleçons. À cet effet, des sections spéciales d’éleveurs de lapins sont formées, les Reichsfachgruppen Kaninchenzüchter. En 1943, le Projet Angora réunit environ 65 000 lapins, élevés dans les camps de concentration, et produisant 5 tonnes de laine. L’album intitulé Angora Rabbit Raising in Nazi Concentration Camps est conservé aujourd’hui à la Wisconsin Historical Society à Madison. Des lapins aux Invalides Pendant la Seconde Guerre mondiale, Georges Morin, fonctionnaire à l’Office national des Anciens combattants ONAC vit avec sa femme Denise et sa fille Yvette, aux Invalides. Engagée dans le réseau de Résistance Action Vengeance de la France Combattante en 1940, cette famille cache aux Invalides des aviateurs anglais, américains et canadiens, entre 1942 et 1944, avant de les faire transférer avec de faux papiers vers l’Espagne ou l’Angleterre. Les aviateurs de passage surnomment Denise Morin, Mammy Rabbit car elle élève des lapins pour les nourrir. La famille Morin est arrêtée par la Gestapo le 5 juillet 1944 et déportée. Une plaque commémorative mentionnant l’action de Georges est visible aux Invalides. Les visiteurs peuvent aujourd’hui encore, remarquer la présence de nombreux lapins de garenne du côté de la façade nord. Deux lapins sur l’esplanade des Invalides. © Paris, musée de l’Armée

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